Résolument moderne
Jusqu’au 27 janvier 2020
Grand Palais, Galeries nationales, entrée Square Jean Perrin, Paris 8e
Le Grand Palais propose une nouvelle approche de l’oeuvre de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Plutôt que de présenter l’artiste en caricaturiste qui cherche la critique négative, l’artiste est rattaché au réalisme expressif dans la lignée de Ingres, Manet, Degas. Fidèle de la pratique photographique, il est perçu comme « un accoucheur involontaire du XXe siècle ».
Originaire de la ville d’Albi, Henri de Toulouse-Lautrec et sa famille quittent le Sud pour s’installer à Paris entre 1872 et 1874. Lycéen doué, il souffre d’une santé fragile qui l’oblige à terminer son éducation à domicile. Il suit des cours avec René Princeteau, peintre du cheval de race
A 17 ans, il déclare qu’il faut « faire vrai et non idéal ». Il applique cette leçon à la toile de Puvis de Chavannes, Le Bois sacré aux Arts et Muses (1884/89 ; The Art Institute of Chicago) qu’il parodie. Pour lui, la peinture doit s’inscrire dans l’expérience vécue. Des tubes de peinture s’invitent dans le tableau « sacré » et le peintre se représente de dos, urinant au pied d’un arbre !
En 1882, Lautrec rejoint l’atelier de Fernand Cormon, rendu célèbre par Caïn (1880 ; musée d’Orsay). Le maître lui apprend la violence des lumières, le sens de la perspective, les saillies des corps, la recherche de « l’animal » sous l’humain. Il représente sa maîtresse Suzanne Valadon nue, sans embellissement esthétique, et sous une lumière crue.
Puis il porte son intérêt sur la femme du peuple et les prostituées. La rousse Carmen Gaudin lui inspire une série de toiles, qu’il capture sous des angles photographiques variés. Rousse (1890 ; musée d’Orsay) la laisse voir de dos, les jambes écartées, mais l’accent est mis sur son dos et sa nuque, non sur la béance de ses cuisses. Si le vital est primordial, la décence reste de mise.
Tout sang bleu qu’il soit, Toulouse-Lautrec investit le quartier de Montmartre. L’artiste peut y analyser l’animalité des comportements humains. Danse, alcool et sexe lui offrent une dramaturgie explosive. Mais le peintre ne cherche ni à stigmatiser les nantis qui se laissent aller à l’excès de leurs plaisirs, ni les gens du peuple qui en vivent. Les lumières artificielles renvoient à une image inquiétante de cette « comédie funèbre », évoquée par la presse de l’époque.
Montmartre rime avec Moulin Rouge. Ses propriétaires lui commandent une affiche publicitaire qui met en avant la vedette de cancan, Louise Weber, dite La Goulue. Elle lui inspire tableaux et lithographies. Ces dernières sont aujourd’hui détenues en exclusivité par la BnF, associée à l’exposition.
Toujours à Montmartre, Lautrec rencontre Yvette Guilbert au Divan japonais. Il réalise avec Gustave Geffroy la couverture d’un album où elle est incarnée par une arabesque de gants noirs à grande force visuelle.
Lautrec se trouve happé par une vie de plaisirs et le tourbillon de la vie nocturne de Montmartre. Son trait haché et nerveux évoque la vitesse des temps modernes, symbolisés par le cinéma des frères Lumière et l’automobile.
Atteint de syphilis et intoxiqué à l’alcool, l’artiste est interné par ses parents dans une clinique privée à Neuilly en 1899. Il n’en sortira qu’après avoir retrouvé un certain contrôle de ses moyens. Il dessine 39 scènes de cirque dont la courbe des gradins évoque l’enfermement. Sa rencontre avec Dolly, serveuse du Star, lui redonne l’envie de peindre. Une sanguine et une huile de la jeune femme illustrent sa maîtrise retrouvée.
Ses oeuvres réalistes décryptent la société moderne. Le mouvement se décompose pour traduire la vitesse et une atmosphère électrique. Si les lumières sont artificielles, les oeuvres de Lautrec ne se départissent pas d’une grande humanité envers les figures qui les habitent. Une nouvelle approche de son art édifiante.