Peindre le Brésil moderne
Jusqu’au 2 février 2025
#ExpoTarsila
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris 6e
Bien qu’ayant vécu une dizaine d’années à Paris dans les années 1920, la peintre moderniste brésilienne Tarsila do Amaral (1886-1973) reste méconnue en France. Mais, dans son pays natal, sa renommée est grande, grâce à un style original qui se veut à l’encontre du bon goût européen !
L’artiste se forge un univers iconographique brésilien lorsqu’elle vit à Paris (1920-1932), empruntant au cubisme et au primitivisme en vogue dans la capitale. En 1928, son tableau Abaporu inspire le mouvement anthropophage, qui sera la base de sa peinture une fois de retour à São Paulo. En référence au cannibalisme indigène, il s’agit ici d’évoquer la « dévoration de l’autre », autrement dit les cultures étrangères et colonisatrices imposées aux Brésiliens, afin d’en assimiler leurs qualités et les réinterpréter de manière constructive.
Tarsila do Amaral naît à Capivari, dans l’État de São Paulo, dans une famille aisée. Elle reçoit l’éducation d’une jeune fille de l’élite brésilienne : elle apprend le piano et le français, vit entourée d’objets importés d’Europe.
Elle part pour Paris en 1920. Elle fréquente l’Académie Julian, où elle réalise des nus pour la première fois d’après des modèles vivants, puis l’atelier d’Émile Renard. Son Portrait de femme, renommé Figura (1922) est accepté au Salon de la Société des Artistes français ; une première consécration.
Au cours d’un séjour à São Paulo, elle se détache des enseignements académiques parisiens, pour réaliser Figure en bleu (1923) et un Autoportrait au manteau rouge (1923), qui adoptent des couleurs contrastées. Elle dira « Notre vert est barbare. Les vrais Brésiliens aiment les couleurs contrastées. Je déclare, en bonne caipira, que je trouve jolies certaines combinaisons qu’on m’a appris à considérer comme de mauvais goût » (1928).
Dans Petite caipira (1923), Tarsila se représente comme une jeune fille de la campagne brésilienne jouant avec les branches du jardin, comme elle le faisait enfant dans la fazenda familiale.
« Cette identification avec la culture populaire des régions rurales, de la part d’une femme très cultivée de la haute bourgeoisie, annonce l’idéalisation d’une appartenance nationale qui dépasse les clivages culturels et sociaux de la population brésilienne », commente Cecilia Braschi, commissaire de l’exposition.
L’artiste aime réunir dans ses tableaux des éléments disparates, comme dans Le Papayer (1925), favela de Rio de Janeiro présentée comme un visage paisible et bariolé. Dans La Cuca (1924), Tarsila intègre dans un paysage verdoyant un « animal étrange, un crapaud, un tatou et un autre animal inventé ». En réalité, elle n’a pas inventé ce folklore brésilien mais elle a étudié ces motifs autochtones dans les musées ethnologiques.
Dans Religion brésilienne I (1927), elle accumule encore des éléments disparates – objets d’artisanat, vases de fleurs, effigies religieuses – dans des couleurs vibrantes : « bleu pur, vert chantant, rose violacé », qui sont une libération de l’oppression du « bon goût » étranger.
Au fil des années, ses formes deviennent de moins en moins conventionnelles comme dans La poupée (1928). Dans la lignée de celui qu’elle considère comme son maître Albert Gleizes, elle conçoit ses tableaux comme des « organismes » autonomes, indépendants de toute ambition réaliste. Elle s’intéresse moins aux objets représentés qu’aux relations entre les formes et les couleurs et leur équilibre dans le cadre défini de la toile.
Dans Carte postale (1929), l’artiste réunit sans sourciller plusieurs paysages brésiliens : le Pain de sucre de Rio, des cactus du désert et la mer, des palmiers du sud du Brésil et la végétation tropicale de la forêt amazonienne, des animaux mi-singes mi-paresseux possédant des mains non loin de maisons d’humains ; le tout cohabite paisiblement.
Rétrospectivement Tarsila interprète plusieurs tableaux de la période anthropophage comme la traduction de rêves, de réminiscences enfantines ou d’images de l’inconscient apparues dans des états de semi-sommeil. Ses environnements ont été comparés à ceux de Magritte ou De Chirico, dont Tarsila possédait un tableau dans sa collection. « Sans se réclamer du surréalisme, de la métaphysique ou de la psychanalyse, Tarsila connaissait bien toutes ces références, qui font partie de la vase et profonde culture européenne et américaine que l’artiste ‘déglutit’ et transforme dans son oeuvre », analyse la commissaire de l’exposition.
La fin du parcours évoque les changements du paysage brésilien, son urbanisation et la poussée de gratte-ciels (La Métropole, 1958). L’horizon immobilier de la ville est traité dans les tons gris, bleus, violets, dans un langage presque abstrait. Dans Bonace III (années 1960), Tarsila expérimente dans une touche pâteuse l’abstraction informelle qui foisonne à la Biennale de São Paulo de 1959. Son paysage n’est plus imaginaire comme dans sa période anthropophage mais bien réel, avec des formes géométriques plus ou moins épurées.
Une artiste au style original dont les couleurs vibrantes se fient des conventions ; j’adore !