Stocks, matières premières, travail, valeur, échanges
Jusqu’au 07 juin 2020
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Jardin des Tuileries, Paris 8e
Le Jeu de Paume consacre ses deux espaces principaux d’exposition au thème de la saturation des images dans lequel notre monde baigne. Une réalité à la fois fascinante et affligeante !
Chaque jour, plus de trois milliards d’images sont partagées sur les réseaux sociaux. Walter Benjamin évoquait – il y a un siècle déjà ! – un « espace à cent pour cent tenu par l’image ».
Or ces images, il faut les stocker, les gérer, les transporter (fût-ce électroniquement). Leur poids et leur prix fluctuent autant que celui des matières premières brutes ; ce sont des valeurs économiques. On parle alors d' »iconomie », précise Marta Ponsa, une des trois commissaires de l’exposition.
Voici quelques-unes des oeuvres qui m’ont particulièrement marquées.
Le collage d’Evan Roth introduit le parcours. L’artiste a collecté les images stockées dans son cache web depuis la naissance de sa seconde fille (Since You Were Born, 2019/20). Photos de famille, logos, bannières publicitaires dressent un portrait à la fois intime et universel du XXIe siècle.
Ana Vitoria Mussi a créé un rideau de 20 000 négatifs dégoulinant du mur au sol, à partir de portraits de politiciens, célébrités et élite de la dictature militaire brésilienne entre 1978 à 1989. Plongeant dans l’anonymat ces VIP peu recommandables.
Andreas Gursky photographie des millions d’articles en attente d’être expédiés dans un entrepôt d’Amazon (Amazon, 2016). Vision d’un capharnaüm ordonné par des codes barres où les livres se mêlent aux objets en plastique. Et l’on se demande comment/qui (un bras robotique ? un humain ?) parvient à repérer le bon produit pour l’envoyer au commanditaire.
Martin Le Chevalier enregistre les voix de femmes à travers le monde dont le travail consiste à cliquer ou « liker » des sites (Clickworkers, 2017). Des récits qui dénoncent l’absurdité du monde de la Toile et l’inhumanité du travail de ces femmes de l’ombre.
Cette vidéo fait écho au Portrait en sainte Lucie (2019) de Lauren Huret qui représente des modératrices d’images philippines en martyrs du monde contemporain. Ces travailleuses payées trois francs six sous doivent en effet analyser en quelques secondes images et vidéos pour décider de leur suppression ou non. Pour la bonne conscience du monde occidental.
Une exposition dense avec des oeuvres qui interpellent par leur apport documentaire (plus qu’artistiquement parlant). Elles nous renvoient l’image peu flatteuse d’un monde bardé de technologies, dont nous sommes devenus complètement dépendants.