La marque noire: Steven Parrino, Rétrospective, Prospective
Jusqu’au 26 août 2007
Palais de Tokyo, 13 av. du Président Wilson 75116, 01 47 23 54 01, 6€
En quête d’innovation perpétuelle, le Palais de Tokyo présente un véritable hommage à Steven Parrino, décédé tragiquement en 2005. Depuis, la cote de l’artiste new-yorkais n’a cessé de monter et le musée d’art contemporain parisien se fait un honneur de faire découvrir son oeuvre encore méconnue en France. Mais plus pour longtemps…
A ceux qui proclamaient la mort de la peinture dans les années 1980, Steven Parrino (1958-2005) les a défié via…la nécrophilie. S’inspirant de l’art minimal, Parrino réalise des peintures monochromes, souvent noires ou couleur argent, froissées, d’un émail industriel qui les fait ressembler à des carrosseries de voiture, et ne suscitent aucune émotion. Car le but ultime du minimalisme est d’affirmer « ce que vous voyez est ce que vous voyez ». C’est aussi simple que cela. N’allez pas y chercher des symboles, une quelconque représentation subjective. La peinture est un objet ou un fait réel. La preuve: ces toiles déchirées dans lesquelles apparaissent le châssis. Il ne s’agit plus d’une oeuvre d’art mais l’artiste s’intéresse à l’objet qui fait l’art.
Carl André disait ceci des bandes de Franck Stella – un des fondateurs du minimalisme et mentor de Parrino -: « Ses bandes sont les chemins qu’emprunte le pinceau sur la toile. Ces chemins ne conduisent qu’à la peinture ». L’art minimal donne ainsi la supériorité du figuré sur le figurant, pour emprunter des termes sémiologiques.
Mais le génie de Parrino est de dépasser l’art minimal – né aux Etats-Unis au début des années 1960 sous la plume du philosophe Wolleim suite à une exposition à la Green Gallery (New York) – et de faire le pont entre le Pop Art et ses tons très colorés contre lequel s’insurgeaient les Minimalistes, et le modernisme le plus radical.
De fait, Parrino s’inspire de la production en série et de la radicalité chromatique de A. Warhol, Robert Smithson, et Vito Acconci, des matériaux industriels (acier, laque) de Donald Judd. Mais il emprunte également aux autres formes de la culture américaine que sont les motards (les couleurs noir et argent renvoient aux légendaires Harley Davidson), les super héros, les bandes dessinées, les films d’horreur, et la musique punk, plus précisément le No Wave. Une musique dure, brutéiste, qui rejette le format couplet/refrain propre au rock pour favoriser l’improvisation, la dissonnance, l’anarchie et l’amateurisme (deux valeurs caractéristiques du mouvement punk).
Le directeur du Palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler, a pris le parti pour cette exposition, de reproduire matériellement la démarche artistique de Steven Parrino. Il y a donc un volet qui présente une centaine d’oeuvres de l’artiste, telles que lui avait pu les sélectionner lors de précédentes expositions, comme s’il était toujours vivant et commissaire de l’exposition. Un second volet, intitulé « Before (plus ou moins) » regroupe les pièces majeures qui ont influencé Parrino comme la série Electric Chair de Warhol ou Progression de Judd.
Enfin, un dernier volet, « Bastard Creature » mesure l’influence qu’a pu avoir Parrino sur les artistes de la nouvelle génération.
Une exposition certainement difficile d’abord lorsque l’on ne connaît pas le contexte artistique américain. Pourtant, le visiteur pressent que ces oeuvres géantes, perturbantes, évoquant la mort, jouant avec les substances – lisse/rugueux, mate/brillant, pleine/vide – possèdent la marque du grand art. De celui qui traverse le temps. Car il sait s’affranchir de toute catégorie et fait figure de révolutionnaire dans un monde formaté par le diktat de la jeunesse à tout prix – donc du rejet de la mort – et du beau.