« Ce que nous jouons, c’est la vie », s’exclamait l’un des plus grands représentants de la musique jazz, Louis Armstrong. Lui-même passionné de jazz, le philosophe et critique d’art Daniel Soutif, met en scène au musée du quai Branly l’influence de cette musique, marquée par l’importance du rythme et de l’improvisation, sur l’ensemble des arts plastiques. D’où le titre de cette vibrante exposition: « Le siècle du jazz ».
Bien avant le premier enregistrement des musiciens de l’Original Dixieland Jass Band en février 1917 – date officielle de la création du jazz -, le chant des esclaves pour apaiser leur souffrance et, plus tard, pour s’unir dans la révolte (Senghor parle d' »arme de combat »), donne l’impulsion à un nouveau genre musical. Le jazz va révolutionner le XXe siècle au même titre que le rock ou le cinéma.
Dès 1913, Ernest J. Hopkins publie un article dans le San Francisco Chronicle s’intitulant In Praize of Jazz, a Futurist Word Has Just Joined the Language. Pour l’auteur qui analyse le champ sémantique de cette nouveauté linguistique, le mot jazz renvoie à « l’effervescence d’esprit, la force, l’énergie ». Sa sonorité même est douce à l’oreille: « ce son délicieux comme le crépitement d’une vive électricité le rend plaisant ».
Neuf ans plus tard, Francis Scott Fitzgerald publie Tales of the Jazz Age, recueil de nouvelles qui le rendent célèbre et qui confortent l’idée que le jazz n’est pas seulement une musique ou une danse mais un phénomène pluridisciplinaire.
L’exposition dans la galerie Jardin du quai Branly se déroule selon un fil chronologique, un couloir ondulant doté d’une vitrine visuelle et sonore, et duquel se détachent des petites salles thématiques qui se raccrochent à l’histoire du jazz: Harlem Renaissance, Be Bop, etc.
Plus de 1000 objets, couvrant tous les arts, sont ainsi rassemblés pour illustrer comment le jazz a influencé la littérature, la peinture (Nicolas de Staël, Les musiciens, souvenir de Sidney Bechet), la photographie (Jeff Wall, After invisible man by Ralph Ellison, The Prologue), le cinéma (Michelangelo Antonioni, La Notte), les dessins animés, les affiches publicitaires, etc.
« La relation entre l’oeuvre plastique et le jazz est parfois très directe », commente Daniel Soutif, commissaire de l’exposition. « Le caractère figuratif de la peinture fait que la relation est immédiatement apparente. Dans un tableau abstrait de Jackson Pollock des années 1950, la relation n’est plus aussi évidente. On n’a plus affaire à la représentation d’un motif évoquant la musique de jazz. »
De même, au niveau cinématographique, on peut avoir un rapport direct comme Miles Davis qui improvise sur les images d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Alors que Norman McLaren produit des images, en travaillant directement sur la pellicule, en fonction de la musique d’Oscar Peterson. « Cette fois-ci, il ne s’agit plus d’une musique de film, mais plutôt de l’inverse, d’un film qui prend pour partition une musique. »
Autre point intéressant dans l’exposition: la mise à plat des clichés. Telle l’idée que se font les Européens du jazz: une musique d’Afro-américains relevant des arts primitifs. En atteste le titre explicite d’un dessin de Picasso: Une très belle danse barbare (1905). Or, non seulement, le premier groupe de jazz – du moins, ceux qui ont pu mettre les pieds en premier dans un studio d’enregistrement – était composé d’hommes blancs. Mais outre-Atlantique, les Américains savent pertinemment que le jazz est aussi blanc que noir. The King of Jazz Paul Whiteman, Tin Pan Alley, Cole Porter, Irving Berlin sont aussi blancs que Louis Amstrong, Duke Ellington, Joséphine Baker peuvent être noirs!
Ultra documentée, « Le Siècle du Jazz » apporte un regard inédit sur un genre musical, qui a imprimé sa marque à l’ensemble des disciplines artistiques du XXe siècle à nos jours. Seul le fil rouge – l’épine dorsale chronologique qui est censée guider les visiteurs dans le bon sens de l’exposition – m’a posé quelques problèmes d’orientation. Je n’ai pas su définir si ma logique est passablement tordue et m’a contrainte à faire des demi-tours intempestifs ou si le parcours se révèle plus complexe que ne le laisse suggérer le cartel d’introduction…