Shoji Ueda, Une ligne subtile
Peter Knapp, La passion des images
Jusqu’au 30 mars 2008
Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy 75004, 01 44 78 75 00, 6€ (gratuit tous les mercredis entre 17h et 20h).
La Maison Européenne de la Photographie (MEP) présente deux expositions temporaires qui se distinguent par la finesse artistique de leurs auteurs. L’oeuvre du Japonais Shoji Ueda (1913-2000) répond à celle du Suisse Peter Knapp (né en 1931) autour des thèmes de la nature, des personnages et un goût prononcé pour l’expérimentation. Le tout enrobé d’un regard poétique, décalé et humoristique.
SHOJI UEDA
Shoji Ueda nourrit son oeuvre de la région dans laquelle il est né – Tottori (à Sakaiminato) -, et qu’il quittera peu. Hormis un voyage en Europe dans les années 1970 et une exposition au Museum of Modern Art de New York en 1960, sur l’invitation d’Edward Steichen, Ueda évoluera dans un petit périmètre entre Tokyo et Sakaiminato.
L’artiste commence par mettre sa famille en scène dans son environnement vital – les dunes au bord de la mer. C’est d’ailleurs ce thème qui le fait connaître à l’étranger. « Les dunes, c’est mon studio. On ne peut pas trouver d’arrière-plan plus parfait, car l’horizon est étirable à l’infini. Je dirais que la dune est un paysage presque naturellement photographique. C’est la nature, mais réduite à un fond unique », relate Shoji Ueda.
S’inspirant des mouvements avant-gardistes européens, le photographe affûte son don de la mise en scène en mêlant paysage naturel et personnages ou objets, dans des postures humoristiques. « J’aime introduire dans des paysages naturels des éléments artificiels. J’aime bien que l’on sente une légère intervention du photographe ». En atteste sa série Vision du paysage (1970-80) et celle de son « retour aux dunes » avec une photographie de 1984 représentant un tapis posé sur le sable, au loin M. Sohji Yamakawa, et dans le ciel diurne un feu d’artifice!
Ses oeuvres prennent ainsi une valeur surréaliste. Composition (1937), qui met en scène des chapeaux volant comme par magie, une carcasse de parapluie et un buste de mannequin posé à même le sol, rappelle évidemment des oeuvres de Dali. Fausse coïcidence car Shoji Ueda s’était d’abord intéressé à la peinture avant de se tourner vers la photographie…
PETER KNAPP
Précisément comme Peter Knapp. Qui abandonne définitivement la peinture pour la photographie en 1964.
Né à Bäretswil, P. Knapp a récemment fait parler de lui avec son film sur les derniers jours de Vincent Van Gogh (2006), tourné à Auvers sur Oise, où les deux artistes viv(ai)ent.
Mais Peter Knapp est surtout un nom associé au domaine de la mode. Il a en effet fait les beaux jours du magazine ELLE, puis de Stern, Vogue et du Sunday Times. Avec sa formation de graphiste et ses études à l’Ecole des Beaux-Arts (Paris), Peter forge son aptitude à la mise en page. Il est parmi les premiers artistes à utiliser les grands formats et la couleur en photographie alors que ses contemporains en restent au noir et blanc.
Cette audace lui permet d’entrer aux Galeries Lafayette comme directeur artistique. Il est responsable de l’aménagement des vitrines et de la publicité. Ce qui le conduit ensuite à assurer la mise en page du nouveau magazine Femina, fondé par Hélène Lazareff. Qui crée après la guerre le célèbre ELLE.
En tant que directeur artistique de ELLE, Peter Knapp fait travailler les grands noms de la photographie de mode, tels Jeanloup Sieff, Sarah Moon et bien sûr, Oliviero Toscani. Lorsqu’il ne trouve pas le photographe adéquat, il prend lui-même les photos. Et ce travail personnel regorge de créativité et de liberté technique. Il n’hésite pas, par exemple, à utiliser des images extraites de films 16 mm pour en faire des images publicitaires (cf. espace d’exposition au -1).
A l’étage sont présentées les photographies personnelles de P. Knapp. En particulier, ses recherches visuelles concernant les traces du temps laissées dans la nature (cf. Trace de bateau).
Vraie coïncidence, l’artiste est en train de commenter son travail à un groupe d’auditeurs, au moment où je visite l’exposition. Remarque d’un visiteur: « Il faudrait que ce que vous nous dîtes [le contexte de son travail] soit explicité à côté de chacune des photographies ». En effet, ce que ne racontent pas les images sont les anecdoctes, racontées avec humour, qui ont servi d’impulsion à l’acte photographique.
Je vous livre celle sur la Main de Gilberte (1975). Gilberte est la voisine de Peter, de sa maison de campagne dans l’Yonne. « Gilberte est une paysanne qui ressemble à un oiseau. Elle est très intelligente. Un jour, je vais la voir et lui demande si je peux tirer son portrait. Mais elle s’écrit: ‘Ah, non, pas de portrait’ [avec le ton qui va avec, vous imaginez, j’en suis sûre!], en mettant par réflexe sa main sur son visage. Je lui rétorque: ‘Et, la main, Gilberte, je peux photographier ta main?’ – ‘Ah, ça oui’. Gilberte venait de casser des noix [ou de les ramasser, bref, elle les avait touchées] et la face interne de sa main était recouverte de brou de noix, qui en avait infiltré les lignes ». D’où la photo représentant une main striée de noir (désolée, elle n’était pas disponible en visuel presse).
Il est vrai que ce genre d’anecdoctes permet de mieux comprendre l’oeuvre du photographe. Mais le don d’un artiste est également de savoir susciter l’imagination des visiteurs. De leur ouvrir des voies de réflexion et de leur insuffler des pensées poétiques à partir de la qualité de son travail…
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