Réinventer l’universel
#SenghorEtLesArts
Jusqu’au 19 novembre 2023
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris 7e
Le musée du quai Branly propose un aperçu édifiant de la pensée intellectuelle et de l’action politico-culturelle du poète et homme politique sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001).
L’exposition, volontairement non biographique mais thématique, illustre avec des documents d’archives et des oeuvres réalisées sur différents supports (affiches, photographies, sculptures, vidéos, peintures…) le concept au coeur de la pensée de Senghor : la négritude.
Avec, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, Jane et Paulette Nardal, Senghor veut dépasser la connotation négative du terme « nègre » pour redorer le blason du patrimoine africain, et réécrire une histoire de l’art mondial, trop centrée sur l’Occident.
La force de sa pensée est de dépasser les frontières, de faire dialoguer les cultures. « Senghor ne parlait pas de ‘restitution’ d’oeuvres », précise Mamadou Diouf (professeur d’études africaines et d’histoire à Columbia University), un des trois commissaires de l’exposition, « mais de circulation des oeuvres ».
Poète et essayiste, c’est lorsqu’il devient le premier Président de la République du Sénégal (1960), tout juste décolonisé, que Senghor lance une grande politique culturelle. Plus d’un quart du budget de l’État est consacré à l’éducation, la formation et la culture.
Senghor programme à Dakar le premier Festival mondial des arts nègres (1966), sous l’égide de l’UNESCO et en collaboration avec la Société africaine de culture, dirigée par Alioune Diop. Elle avait organisé à la Sorbonne dix ans plus tôt le premier Congrès des artistes et écrivains noirs, auquel avait participé Senghor.
En 1965 est érigé le théâtre national Daniel Sorano, qui présente des pièces des répertoires occidentaux et sénégalais. L’artiste Ibou Diouf, dont est exposé Le Conseil des sages (1974), y a travaillé comme décorateur en chef. Dix ans plus tard, Senghor soutient la fondation de l’école de danse Mudra-Afrique avec Maurice Béjart et Germaine Acogny.
Puis vient la construction du Musée dynamique de Dakar qui accueille l’exposition « L’Art nègre : sources, évolution, expansion » (avril 1966), la première d’une telle envergure, qui sera ensuite présentée au Grand Palais à Paris (juin 1966). Ce qui donne lieu à de fortes critiques qui dénoncent la connivence entre le Sénégal et l’ancien pays colonisateur. Parmi les oeuvres exposées figure ce tambour initiatique zoomorphe de Guinée, qui fait partie désormais de la collection du musée du quai Branly.
Cette même année, Senghor inaugure la Manufacture nationale de tapisserie de Thiès, pour créer du lien entre art, artisanat, passé et présent. Les oeuvres tissées, dont L’Oiseau mystique de Modou Niang (né en 1945) inaugure l’exposition, sont un support de diffusion de l’art moderne sénégalais en Afrique mais aussi en Europe et aux États-Unis.
Par ces actions, Senghor entend défendre l’art nègre du passé mais prouver également qu’il est « une source jaillissante qui ne se tarit pas : un élément essentiel de la Civilisation de l’Universel qui s’élabore, sous nos yeux, par nous et pour nous, par tous et pour tous ».
Pour cela, il souhaite construire un vaste complexe culturel dont le coeur serait le plus grand musée de l’ouest africain. Si le projet est abandonné lors de sa démission en 1980, il en reste un grand musée ouvert en 2018, appelé le musée des civilisations noires.
Une exposition érudite, qui aborde différentes facettes de l’engagement de Senghor, sans en omettre les critiques. L’occasion d’admirer, sans vous ne la connaissez pas encore, la galerie Marc Ladreit de Larcharrière et ses statues enveloppées dans des bulles de verre, conçues par J. Nouvel. Un régal pour les yeux !
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