Jusqu’au 27 juillet 2008
Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis 75014, 01 56 80 27 00, 6€
Henri Cartier-Bresson rencontre Saul Steinberg en 1947. Pour célébrer cette amitié de longue date et leur admiration respective, la Fondation Henri Cartier-Bresson concrétise un projet décidé du vivant d’Henri C.-B. en rendant hommage à Saul Steinberg (1914-1999).
Première étape d’une tournée européenne, cette rétrospective majeure présente une centaine de dessins, collages, photographies et assemblages réalisés par « l’écrivain-dessinateur » Saul Steinberg, entre 1930 et 1990.
Considéré par Henri Cartier-Bresson comme l’un des grands créateurs du XXe siècle, Saul Steinberg « ne cesse de nous dépayser, d’enlever aux signes culturels leur patrie: il nous rend à la fois reconnaissables et étrangers; il ne détruit pas la culture, il la subvertit » (Roland Barthes).
L’oeuvre de Steinberg ne manque pas d’étonner. Son trait graphique, épuré, sobre, percute d’autant plus notre esprit par la vive critique qu’il suggère. A la fois humoriste et caricaturiste, dessinateur « muet » – ses oeuvres ne comportent pas de légendes tant le dessin suffit à lui-même -, « écrivain qui dessine » comme il se définit lui-même, Saul Steinberg renvoie à l’image de l’artiste authentique. Tel son maître Arthur Rimbaud, capable de s’imposer l’exil à 20 ans, de tout abandonner pour devenir marchand en Afrique, « pour devenir un autre ».
Saul Steinberg a lui-même connu l’exil. Après des études de philosophie et de lettres à l’université de Bucarest, il part étudier l’architecture à Milan (1933-40). Parallèlement, il publie des premières caricatures dans la revue anti-fasciste Bertoldo. Ses dessins sont ensuite repris par les magazines américains Harper’s Bazaar et Life (1940).
En 1941, Steinberg doit fuir l’Italie gangrénée par le fascisme. Il passe un an à Saint Domingue en attendant d’obtenir son visa pour les Etats-Unis. Dès son arrivée sur le sol américain, il collabore avec le New Yorker.
En 1944, le dessinateur épouse Hedda Sterne, artiste de l’Ecole de New York. Son cercle d’amis compte d’autres figures artistiques, parmi lesquelles Vladimir Nabokov, Saul Bellow, Le Corbusier, Alberto Giacometti, Henri Cartier-Bresson. En 1946, il participe à l’exposition « Fourteen Americans » au Museum of Modern Art, qui présente quatorze artistes américains émergents, dont Arshile Gorky et Mark Tobey. Seinberg expose ensuite à Paris, Londres, Milan.
A partir de 1959, il incorpore dans son oeuvre des masques fabriqués avec du papier kraft. « Le masque protège du dévoilement… Dans une société organisée, les émotions sont de nature antisociale et on les associe à diverses formes de folie. Seules sont autorisées les formes les moins menaçantes ». Adaptés à la société moderne, les masques de Steinberg caricaturent la rigidité de l’identité sociale.
Steinberg s’amuse à porter ces masques, parodiant des personnalités reconnaissables (étudiant, hôtesse, etc.) dans des scènes de la vie quotidienne et pose avec devant l’objectif de la photographe Inge Morath (agence Magnum).
Autre caractéristique de l’oeuvre de Steinberg: l’utilisation de tampons de caoutchouc et du bois. En 1986, il fabrique une bibliothèque, restituée dans l’exposition, en guise d’autobiographie. Des étagères sur pied contiennent des livres en bois, dont les titres symbolisent les différents moments de sa vie: Jules Vernes en roumain, Jack London en italien, un manuel de pidgin, un volume de la revue humoristique L’Assiette au beurre (1908) dans laquelle le cubiste Juan Gris a fait ses premiers pas en tant que caricaturiste.
Steinberg dénonce la corruption de l’argent, des rêves hollywoodiens (cf. Wilshire & Lex). Aussi bien que la prétention humaine, la lourdeur d’esprit, l’inculture.
La nervosité de son trait de plume s’identifie à une poésie graphique, à la fois légère dans l’apparence, mais lourde dans les idées qu’elle dénonce.
« Une poésie a besoin des étrangetés du vers pour ne pas sembler sottement prétentieuse. Comme certaines danses exigent masques ou costumes. Et moi, j’ai toujours pensé qu’on ne peut énoncer certaines choses qu’en les transformant en canulars, en calembours. En bizarreries. Ce qu’on appelle l’humour en somme. Il faut travestir la vérité pour la faire admettre, pour se la faire ‘pardonner ‘ » (in Ombres et Reflets, Entretien avec Aldo Buzzi, Christian Bourgeois éditeur, 2002).