Jusqu’au 25 septembre 2011
Jeu de Paume Concorde 75001
L’oeuvre de Santu Mofokeng ne saurait être complète sans les essais qui accompagnent la sélection de 200 images, exposées au Jeu de Paume. Jeunesse dans le Soweto, études, vie quotidienne dans les fermes et townships, rituels religieux et paysages, dont le projet Radiant Landscapes spécialement réalisé pour l’exposition, le photographe sud-africain a réfléchi en profondeur à chacun de ses sujets. Extraits de ses textes.
Débutant comme street photographer dans les années 1970, Santu Mofokeng s’initie à la photographie en réalisant des portraits de sa famille et de ses amis à Soweto.
En 1981, il est engagé par le journal Beeld comme assistant au laboratoire photo avant de partir travailler, l’année suivante, pour les journaux de la Chambre des Mines.
En 1985, il rejoint Afrapix, un collectif de photographes fondé en 1982 dans le but de fournir des photographies documentaires à la lutte anti-apartheid. Son travail est publié dans Weekly (aujourd’hui Mail & Guardian).
« C’était idéal pour moi de publier dans ce journal car je n’ai jamais pu tenir de délais et je ne sais pas conduire. Quand on était en reportage, dès qu’ils avaient fini, ceux qui avaient une voiture se dépêchaient de retourner au labo et de présenter leur travail. Moi, je ne pouvais pas. En fin de compte, cela illustrait bien ma façon de travailler. Je prenais une semaine pour faire un reportage et je n’allais pas tenir la deadline qui était pour le lendemain. […] J’ai alors commencé à penser en termes de livre, et non plus nécessairement
en termes de journaux. […] La lenteur est devenue ma force. »
Parallèlement, S. Mofokeng commence à faire des reportages pour New Nation, un journal alternatif dirigé par Zwelakhe Sisulu (et Gabu Tgwana, qui a remplacé Sisulu pendant sa détention). Il développe un projet intitulé Fictional Biography, un récit métaphorique retraçant sa vie et observant sa propre communauté. « Le pays natal est pour l’homme un espace adéquat, mais il n’a pas d’existence objective dans la réalité. La notion de ‘pays natal’ est une fiction créée par nous pour satisfaire notre besoin d’appartenance. »
En 1986, Mofokeng se lance dans une recherche conséquente, considérée comme son premier essai photographique : Train Church — une exploration des rituels religieux qui l’occupe encore aujourd’hui.
L’Afrique du Sud est alors un pays en état d’urgence et le régime de l’Apartheid se radicalise et se durcit. Tandis que la photographie documentaire est la principale forme d’art à rendre compte des événements, Santu adopte la forme de l’essai photographique, qui offre un regard plus en profondeur.
En 1988, à la suggestion du photographe David Goldblatt et de l’écrivain et historien Tim Couzens, Santu Mofokeng est invité à rejoindre l’African Studies Institute (ASI). Il y occupe pendant près de dix ans les fonctions de chercheur et de photographe et y réalise son essai photographique Rumours / The Bloemhof Portfolio.
Deux ans plus tard, il est récompensé pour son exposition à la Johannesburg Market Galleries, Like Shifting Sand, qui montre la vie dans les fermes et le quotidien des communautés.
Il reçoit la première bourse Ernest Cole, qui lui permet d’étudier un an à l’International Center of Photography (ICP) de New York, où il assiste, entre autres, aux ateliers de Roy DeCarava.
En avril 1994, Santu Mofokeng retourne à Bloemhof pour observer les élections et l’instauration de la démocratie.
« Ce qui m’a le plus frappé durant ces évènements, c’est le mélange de confiance et d’appréhension des gens, leur incrédulité sur la capacité de ces élections à changer leur vie, qu’ils soient travailleurs saisonniers ou métayers, habitants du township se démenant pour trouver un travail à la crèmerie ou à l’épicerie, ou comme grouillot dans une banque, dans l’un des deux hotels de la ville ou chez quelques revendeurs de diamants… L’excitation et la peur étaient partout palpables. Les conversations étaient dominées par la paranoïa, la rumeur et la défiance. On craignait que les résultats des élections ne soient truqués… »
Lors de l’exposition Distorting Mirror: Townships Imagined, en 1995 à la Johannesburg Worker Library, Mofokeng mêle des images privées (pour l’essentiel, des portraits de famille) aux images qu’il a lui-même réalisées. Par le biais de cette juxtaposition, l’artiste explore une autre forme de narration, en établissant un dialogue de nature à susciter de nouveaux questionnements sur les enjeux politiques de la représentation. Car s’il est vrai que les Noirs d’Afrique du Sud ont souffert pendant des siècles de déni et d’oppression, les nombreuses images qui en attestent peignent un tableau monotone, sombre et désespéré qui, s’il est juste, n’en demeure pas moins incomplet aux yeux de Mofokeng.
« Le défi a toujours été pour moi de créer des images qui ne soient ni prisonnières des contraintes imposées par l’État, ni soumises aux exigences de la lutte contre ce même État. Par quels moyens peut-on témoigner de la réussite de ces gens, de ce qu’ils ont fait de leur vie malgré l’absolue brutalité de l’État, sans paraître par là-même en approuver le régime ? »
En 1996, l’artiste entame son essai photographique intitulé Chasing Shadows, toujours en cours. Dans ce travail, qui s’attache tant aux rituels religieux qu’aux lieux où ils sont pratiqués, les grottes de Motouleng et de Mautse, Santu Mofokeng questionne la relation entre le paysage, la mémoire et la religion.
« Beaucoup de ces gens qui viennent prier croient que l’esprit de leurs ancêtres repose au coeur de cette grotte. […] Ce projet m’a mené à des endroits où la réalité se mêlait librement à l’irréalité, où ma connaissance de la technique photographique a été poussée dans ses derniers retranchements. Bien que les images illustrent des rituels, des fétiches et des lieux de cérémonies, je ne suis pas certain d’avoir capté sur la pellicule l’essence de la conscience collective que j’ai vue à l’oeuvre. Peut-être que j’étais à la recherche de quelque-chose qui ne se laisse pas photographier. Peut-être que j’étais à la poursuite d’une ombre. »
Avec Chasing Shadows, Mofokeng approfondit son intérêt pour le paysage. Ses essais Trauma Landscape et Memory Landscape interrogent l’idée même de paysage. Dans les territoires auxquels, en tant que Noir, il n’avait pas accès pendant l’Apartheid, mais aussi en Europe et en Asie, l’artiste se met en quête de paysages auxquels se trouve confrontée la jeune démocartie sud-africaine, qui doit se réapproprier la mémoire des terres héritées de l’Apartheid.
Santu définit le paysage comme un moyen d’appréhender l’individu dans l’ordre des choses, à une échelle plus large englobant la communauté. « […] L’appréciation d’un paysage est façonnée par l’expérience personnelle, le mythe et la mémoire, entre autres choses. Inutile de dire qu’elle se nourrit aussi d’idéologie, de propagande, de projections et de préjugés. »
Pour son importante contribution à la compréhension et à la recherche sur le développement humain en Afrique du Sud, pour la qualité et le contenu de son oeuvre, pour le renouvellement qu’il apporte à la représentation photographique, par la pertinence et la puissance de son regard sur la portée symbolique du paysage et sur les relations entre environnement et développement, Santu Mofokeng reçoit en 2009 le Prince Claus Award.
Une exposition essentielle. Pour ceux qui ne pourraient pas y aller, visitez le site de l’artiste.
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