Rodin/Bourdelle

Corps à corps

Jusqu’au 02 février 2025

#MuseeBourdelle

Musée Bourdelle, 18 rue Antoine-Bourdelle, Paris 15e

Le musée Bourdelle confronte l’oeuvre d’Antoine Bourdelle (1861-1929) à son maître Auguste Rodin (1840-1917). Entre affiliation et opposition, l’exposition offre un dialogue fécond entre les deux artistes qui ont su révolutionner l’art de la sculpture.

Auguste Rodin (1840-1917), Antoine Bourdelle (praticien), Ève au rocher, grande version, 1893-1906. Pierre calcaire. Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek

Antoine Bourdelle a taillé des marbres pour Rodin pendant quinze ans (1893-1907). L’occasion pour lui d’apprendre les leçons de plastique du maître. Pour mieux s’en affranchir par la suite.

Le parcours débute avec le montage d’un double portrait des deux géants de la peinture, que Bourdelle conserva toute sa vie. Bourdelle réalise également deux bustes de Rodin en hommage à son maître (vers 1910). On perçoit déjà la volonté de Bourdelle de s’éloigner du modelé rodinien pour faire place à la géométrie des volumes et à l’architecture des formes – les deux piliers de l’art sculptural de Bourdelle.

Dépassé par les commandes, Rodin fait appel à une dizaine de praticiens pour tailler ses marbres. Bien qu’indocile, Rodin voit en Bourdelle un « éclaireur de l’avenir ». En guise de reconnaissance mutuelle, ils s’offrent dessins et sculptures.

Auguste Rodin (1840-1917), Antoine Bourdelle (praticien), Rose Beuret (1844-1917), 1902-1903. Marbre. Paris, musée Rodin

Des tensions apparaissent en 1902 lorsque Bourdelle tarde à tailler Ève, dont il restitue les imperfections de la peau, figure majeure imaginée par Rodin pour La Porte de l’Enfer. Puis, Bourdelle prend l’initiative d’entourer le visage de Rose Beuret d’un voile, que rejette Rodin. « Je veux la copie fidèle du masque – sans plus – c’est moi qui fais mes compositions. Je n’ai pas demandé qu’on compose ! »

Finalement Bourdelle n’a plus besoin de travailler pour Rodin car il reçoit suffisamment de commandes. « Je vends beaucoup », écrit-il en 1908.

Antoine Bourdelle (1861-1929), Le Poète ou Le Jour et la Nuit, 1901. Marbre. Paris, musée Bourdelle

La leçon d’inachevé de Rodin, anticipée par Michel-Ange et son non-finito, se perçoit chez Bourdelle dans Le Poète [nom d’origine du célèbre Penseur de Rodin] aussi appelé Le Jour et La Nuit (1901). Le visage lisse tourné vers le ciel contraste avec la Nuit prise dans sa gangue de marbre, à peine ébauchée, et tapie dans l’ombre.

La fracture plastique entre les deux hommes s’incarne dans le masque de la comédienne japonaise Hanako de Rodin, critiqué pour son illusionnisme par Bourdelle, qui lui oppose celui d’Irène Millett (1917-1923), tous deux réalisés par le maître verrier Jean Cros.


Antoine Bourdelle (1861-1929), Grand Guerrier, Étude de torse pour le Monument aux morts, aux combattants et serviteurs du Tarn-et-Garonne de 1870, 1898-1900. Bronze. Paris, musée Bourdelle

Si Rodin veut imprimer la vibration de la vie sur la surface de ses torses, Bourdelle veut aller plus loin. Il souhaite que ses sculptures incarnent l’énergie vitale. Pour se faire, il ausculte les corps, les tord, les cambre.

D’autre part, le fragment fait partie de l’oeuvre de Rodin alors que pour Bourdelle, il lui sert d’étude. « Jamais il n’oserait l’exposer comme une oeuvre autonome (Étude de torse pour le Monument aux combattants de Montauban, 1898-1900), précise Jérôme Godeau, un des six (oui, c’est une grosse expo!) commissaires.

La visite se poursuit avec le pouvoir du socle et comment il devient un élément constitutif de la sculpture moderne. L’élévation du buste à la tête inclinée de Marie Fenaille (1898) de Rodin lui confère une certaine spiritualité. Bourdelle mène plus loin la recherche en fusionnant le buste et le socle de l’effigie de Mécislas Golberg ; les deux sont indissociables. Quarante ans plus tard, Alberto Giacometti, qui fut l’élève de Bourdelle, prolonge cette réflexion en mettant à distance l’être représenté. Le buste ne se confond plus avec le socle mais la tête est disposée sur un gradin pour mieux la séparer du reste du corps.

L’idée de la sculpture-architecture chez Bourdelle est illustrée par la frise Apollon et les Muses (1911) qui orne le fronton supérieur de la façade du théâtre des Champs-Élysées. Les volumes souples, les draperies amples, les gestes des muses se répondent dans une rythmique qui reste encadrée, graphique.


Antoine Bourdelle (1861-1929), La France, monument de la pointe de Grave, 30 décembre 1922. Encre brune, aquarelle, rehauts de gouache blanche et crayons de couleur sur trois morceaux de papier transparent raboutés et collés sur carton. Paris, musée Bourdelle

L’art de la synthèse du bloc chez Bourdelle s’incarne dans son Athéna, droite et fière, du Monument de la pointe de Grave (1922). Son bras plié au-dessus de la tête forme le chapiteau sous-jacent d’une colonne antique, formée par le corps drapé d’Athéna.

Si Bourdelle conserve la force expressive de la sculpture de Rodin, il se défait de son pathos, pour n’en garder que l’essentiel, dans une synthèse architecturée, comme le montre avec brio le parcours de l’exposition. Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de retourner au musée Bourdelle depuis sa rénovation, en voici une belle occasion !

Taggé .Mettre en favori le Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *