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Le concept de « frontière » décliné en duo à la Fondation Cartier

Robert Adams: On the Edge
Lee Bul: On Every New Shadow

Jusqu’au 27 janvier 2008

Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail 75014, 01 42 18 56 60, 6,50€

Que rapproche les expositions conjointes de Robert Adams et Lee Bul à la Fondation Cartier? Telle est la question que se pose le visiteur devant le spectacle des photographies noir et blanc de l’un et les sculptures en verre et cristal de l’autre. Deux univers radicalement différents, qui se rejoignent pourtant autour de la notion de borderline

On the Edge

Il s’agit ici de la première exposition personnelle du célèbre photographe américain (né en 1937, dans le New Jersey) en France. L’artiste présente 150 photographies des paysages de l’Ouest américain, extraites de trois séries: West from the Columbia (1990-1992), Time Passes (1990-1992) – dont 32 photographies inédites – et Turning Back (1999-2003). La dernière salle est consacrée à une quarantaine de livres soigneusement écrits et mis en page par le photographe, qui constituent un autre moyen d’expression pour ce Docteur en littérature anglaise.

Robert Adams est un photographe autodidacte. Il enseigne à l’Université de Colorado Springs depuis dix ans, lorsqu’en 1967, son employeur lui demande de faire un reportage sur la ville et ses environs. Parallèlement, un de ses amis revient de Corée avec un 35 mm et lui conseille de s’amuser avec.
R. Adams y prend goût et n’a cessé depuis de photographier les paysages qui le touchent. « La photographie est une réponse émotionnelle au paysage que j’aime et auquel je tiens », confie-t-il dans une interview filmée (17 mn), diffusée dans la dernière salle de l’exposition.

Découvrant son pays progressivement, en partant de l’Etat du Missouri (centre des Etats-Unis) pour rejoindre la côte ouest, où R. Adams et sa femme disposent d’une maison avec vue sur le Pacifique, l’artiste photographie, à l’est, la forêt dévastée du Colorado, autrefois la plus la grande forêt pluviale au monde, et à l’ouest, la mer, polluée mais encore belle. « Et, comme toute beauté, [elle] contient en elle une promesse ».

La série sur le Pacifique, Time Passes, emprunte son titre à un chapitre du roman de Virginia Woolf, To the Lighthouse (Vers le phare). L’enchaînement des vagues, nonchalantes, ourlées d’écume, traduit visuellement le sentiment de calme, de mélancolie, de solitude, qui habite le roman. « De tous les lieux sacrés de la côte ouest, je n’en connais pas de plus stimulants que ceux où les fleuves viennent se jeter dans la mer. La disparition du fleuve nous rappelle la fugacité de la vie et la beauté de l’océan, nous aide à l’accepter, suscitant un espoir inexplicable », commente Robert Adams.

Un espoir mêlé d’accablement devant l’exaction de l’homme envers la nature. Les photographies de Turning Back démythifient les paysages de l’Ouest américain tant elles montrent des plaines forestières ravagées par l’industrie du bois. Des arbres qui vivaient de 500 à 1000 ans, ne vivent plus que 30 ou 40 ans car ils sont coupés en un rien de temps avec des machines électriques afin d’alimenter l’industrie du papier notamment. Et, surtout alimenter la cupidité des industriels qui veulent un retour sur profit quasi-immédiat. Là réside la plus grossière erreur humaine d’après l’artiste: si les Etats-Unis ont été fondés sur des idéaux de liberté nobles, ils se sont fourvoyés en créant une société, dont le moteur est la cupidité – l’un des sept péchés capitaux, rappelle Robert Adams.

On Every New Shadow

Lee Bul aborde de sa manière marginale le thème de la frontière. Dans une première salle miroitante se reflètent des représentations organiques, suspendues, l’une avec une longue chevelure et une autre avec des fils de cristal s’épanchant sur le sol, qui évoquent toutes deux des formes humaines. Formation et déformation sont au coeur de la recherche artistique de cette artiste coréenne (née en 1964), qui invite le spectateur à délimiter selon sa propre logique où se trouve la frontière entre les deux.

Les sculptures en perles de cristal, verrre et acrylique, évoquent à la fois le bâtiment en verre de la Fondation Cartier, imaginé par Jean Nouvel. Ainsi que l’architecture de l’Allemand Bruno Taut, son goût pour la transparence, pour le verre – au point d’adopter le pseudonyme de Glas (verre) -, et ses projets d’architecture utopique d’Alpine Architeckture et Glashaus (maison de verre, 1914).

Lee Bul s’est fait connaître par ses performances de costumes-objets réfutant une conception idéalisée de la beauté. En 1997, l’artiste fait scandale en concevant une installation de poissons, ornés de paillettes, au Museum of Modern Art de New York. L’exposition doit fermer plus tôt que prévu en raison de l’odeur insupportable qui s’en dégageait…

Le visiteur parisien ne sera pas épargné. En effet, la seconde salle abrite Heaven and Earth (2007), une baignoire carrelée portant en son sein une mare d’encre noire et d’amoniaque! Au-dessus flotte une forme organique ressemblant à un être humain, la tête en bas, menaçant de tomber dans la baignoire. Une allusion aux scènes de torture pratiquées par les autorités coréennes envers les dissidents politiques. Les bords de la baignoire représentent le mont Baekdu, lieu de naissance mythique de la Corée.

Robert Adams et Lee Bul créent des univers qui reflètent les espoirs et les rêves de beauté des spectateurs – l’homme en osmose avec la nature grâce à un urbanisme vert, discret, et léger. Mais ils reflètent tous deux la dure réalité, et nous contraignent à reconnaitre la valeur utopique d’un tel monde. Effet glacé assuré.

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