Ribera

Ténèbres et lumière

Jusqu’au 23 février 2025

Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris 8e

Le Petit Palais présente la première exposition monographique en France consacrée à l’ensemble de la carrière de Jusepe de Ribera (1591-1652). Un peintre espagnol qui a fait carrière à Rome puis à Naples, surnommé « l’enfant terrible du Caravage », pour son côté plus sombre et féroce que son aîné italien (1571-1610).


Jusepe de Ribera, Saint-André en prière, 1615-1618. Huile sur toile. Quadreria dei Girolamini, Naples © Photo Scala, Florence

Annick Lemoine, directrice du Petit Palais et co-commissaire de l’exposition, annonce d’emblée qu’il s’agit d’une exposition-événement. Elle présente des oeuvres récemment attribuées à J. de Ribera (début des années 2000). Le parcours peut ainsi dévoiler les oeuvres du maître dès son plus jeune âge, lorsqu’il s’établit à Rome en 1616.

L’exposition révèle salle après salle la maîtrise du sombre obscur dans la lignée caravagesque, le drama de ses compositions avec moult détails qui interpellent le spectateur. Sans oublier l’expressivité des visages, le jeu des mains des personnages, le rendu des drapés, et quelques toiles aux couleurs éclectiques (aux alentours des années 1640). Avant de terminer sur la terribilità du maître. « C’est une furie de pinceau, une sauvagerie de touche, une ébriété de sang dont on n’a pas idée, » écrivait Théophile Gautier (La Presse, 1837).


Jusepe de Ribera, Un mendiant,1612-1614. Huile sur toile. Galleria Borghese, Rome © Galleria Borghese, Rome.

Le parcours débute avec quelques portraits clés dont le Mendiant (vers 1612-1613), aux traits burinés, vu de face pour afficher la tragédie de sa vie d’homme de rue. Chaque portrait est une prouesse de réalisme et un éloge des humbles. Comme on le verra un peu plus loin, notamment dans sa représentation du Pied-bot (1642), à qui il apporte une certaine noblesse grâce à ses yeux pétillants en dépit de son infirmité.


Jusepe de Ribera, Allégorie de l’odorat, 1615-1616. Huile sur toile. Collection Abello, Madrid © Abello Collection, Madrid / Photo Joaquín Cortes.

Les oeuvres de Ribera convoquent les sens. À l’image de cet homme en haillons, aux vêtements aussi effrités que l’oignon qu’il tient dans la main (L’Odorat, vers 1615-1616).


Jusepe de Ribera, saint Barthélémy, 1612. Huile sur toile. Fondation Roberto Longhi, Florence. Per gentile concessione della Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi di Firenze / Photo Claudio Giusti.

Ribera prend souvent comme modèle un vieillard chauve, tête sculptée (Sénèque ?, 1600-1603) ou peinte comme dans saint Barthélémy (vers 1613).

À partir de 1616, l’artiste prend ses quartiers à Naples, qui est alors dirigé par les vice-rois espagnols. Finie la vie décousue de bohème ! Ribera entame une carrière prestigieuse grâce aux commandes des dirigeants politiques, en particulier les ducs d’Osuna et d’Alcalà à qui l’on doit Platon. Dans cette oeuvre sombre, seuls le front et les mains sortent du clair-obscur pour mettre l’emphase sur la grandeur de l’âme au détriment des apparences de la vie.


Jusepe de Ribera, Saint Jérôme et l’ange du Jugement dernier, 1626. Huile sur toile. Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples. Su concessione del MiC – Museo e Real Bosco di Capodimonte © Archivio dell’arte/Luciano et Marco Pedicini.

Parmi les commandes de l’Église, on admire le saint Jérôme et l’ange du Jugement dernier (1616), « une citation directe du Caravage », précise A. Lemoine, avec la représentation de l’ange en vol. Son saint-André (vers 1616-1618) est également une référence au maître italien de part la précision des détails anatomiques, comme la noirceur des ongles.


Jusepe de Ribera, Vénus et Adonis, 1637. Huile sur toile. Galerie Corsini, Gallerie Nazionali di Arte Antica, Rome © Gallerie Nazionali di Arte Antica, Barberini /Corsini Ministero della Cultura.

L’éclosion des couleurs apparaît dans Vénus et Adonis (1637), où le drapé rouge écarlate du jeune dieu symbolise son sang qui se transforme en anémone. Dans Apollon et Marsyas (1637), le dieu de la musique plonge sadiquement ses mains dans la plaie béante du satyre. Il est entouré d’une étole violette qui témoigne de l’influence des coloristes vénitiens (Véronèse, Titien) que Ribera a pu voir à Rome. La bouche ouverte, hurlante, de Marsyas renvoie à l’horreur des témoins de la scène à l’arrière-plan, qui sont eux-mêmes une mise en abîme de l’effroi du spectateur.


Jusepe de Ribera, Lamentation sur le Christ mort, 1618-1623. Huile sur toile. The National Gallery, Londres © The National Gallery, London.

Dans une salle préservée, trois oeuvres magistrales se font face sur le thème de la Mise au tombeau, une version du musée du Louvre (vers 1616-1624) et une autre de la National Gallery de Londres (vers 1620-1623). Elles côtoient la Lamentation sur le Christ mort (1633), oeuvre conservée au musée du Thyssen à Madrid. Les plaies du Christ tranchent avec la couleur blafarde de son corps, posé de trois quarts, comme s’il allait sortir du cadre et prendre vie dans celui du spectateur, et celle de la tunique bleu vif de Marie, aux mains jointes crispées, illustrant le savoir-faire de Ribera pour peindre le pathos. En sus des cartels traditionnels, un petit encart apposé à certaines oeuvres met en avant les détails à ne pas manquer, comme ici l’ajout surprenant de yeux juste à côté de la signature de l’artiste.

Une exposition magistrale qui nous fait redécouvrir le travail de cet artiste ténébreux à l’immense notoriété au XIXe siècle, mais quelque peu oublié depuis.

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