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Rembrandt, le plus brillant aquafortiste de tous les temps

Rembrandt aux yeux hagards, 1630 - (c) Photothèque des Musées de la Ville de Paris - Patrick PIERRAINRembrandt (1606-1669), eaux-fortes

Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris,
Avenue Winston Churchill 75008
19 octobre 2006 – 14 janvier 2007
Rens. et réservations: 01 53 43 40 36

Comme la BNF, le Petit Palais s’intéresse aux eaux-fortes de Rembrandt. Mais, si la BNF a choisi de présenter la progression de la pensée de l’artiste (les différentes étapes de certaines gravures), le Petit Palais préfère exposer, dans une approche plus globale, l’ensemble des genres abordés par Rembrandt.

Car cette diversité artistique le distingue précisément de ses concitoyens peintres et graveurs, leur spécialisation dans un genre étant une caractéristique essentielle de l’art hollandais du XVIIè siècle.

Autoportraits, portraits gravés, sujets bibliques, scènes de genre et mythologiques, paysages, sont présentés dans des salles distinctes, à l’image de la thématique de l’exposition du Louvre sur les dessins du maître.
Les genres se distinguent visuellement l’un de l’autre par un changement de couleur des cimaises: bleue pour les autoportraits, ocre pour les portraits, or pour les scènes bibliques, rouge pour les scènes mythologiques et de genre, verte pour les paysages.

Deux cent quatre-vingt planches de la collection Dutuit illustrent ainsi la pluralité des intérêts de l’artiste; son indépendance dans le choix, dans l’interprétation, et dans le traitement de ces thèmes.

La série des Autoportraits de Rembrandt est à rapprocher de la démarche de Montaigne, qui fait de sa personne la matière de son livre: « Chaque homme port[ant] la forme entière de l’humaine condition » (Les Essais, 1580).
Le parcours du Petit Palais permet d’apprécier l’évolution de la maturité de l’artiste. Ses premiers autoportraits se composent de quelques traits librement tracés, reconstituant son visage, lorsque celui-ci vit encore à Leyde.

Trente-trois ans plus tard, l’image n’est plus la même. En raison du vieillisement de sa personne, mais aussi de son assurance liée à sa nouvelle prospérité et postérité. Rembrandt appuyé (1639) montre en effet un homme à l’air grave, vêtu à la mode d’un gentilhomme de la Renaissance italienne, s’inspirant directement de Titien (Le Portrait d’homme dit ‘L’Arioste’) et de Raphaël (Balthazar Castiglione).

Car dans les années 1640, la réputation de l’artiste n’est plus à faire. Il croule sous les commandes des notables de la ville – écrivains, médecins, avocats. S’affranchissant des codes de la représentation de la bourgeoisie, Rembrandt cherche à exprimer la vie intérieure de ses modèles.

Une démarche d’autant plus intense qu’il choisit ses modèles parmi son entourage – membres de sa famille ou amis – qu’il connaît bien. Le portrait de son ami Jan Six (1647), issu d’une famille patricienne, en est un exemple explicite. Le jeune homme élégant, est représenté accoudé à une fenêtre, légèrement en oblique, plongé dans la lecture d’une lettre. Son air sérieux va de paire avec la pénombre du cabinet de travail, qui transcrit une atmosphère studieuse. Tandis qu’un seul rai de lumière transperce la fenêtre et éclaire l’esprit du jeune homme.

Rembrandt aborde les sujets bibliques tout au long de sa vie. Ils reflètent la réflexion de l’artiste sur sa propre spiritualité: mystères insondables des desseins divins, faiblesse de l’homme, angoisse devant le Jugement de Dieu, etc.. La Pièce aux cents florins (1642-49) – une oeuvre complexe tant au niveau technique que spirituel – résume la vision personnelle du peintre sur le Christ: tout à la fois humain et transcendantal. La révélation évangélique est exprimée par une étoile de lumière émanant de Jésus et rejaillissant sur ses futures disciples.

Saskia meurt en 1642, puis c’est le tour (1663) de la servante, Hendrickje, qui était entrée au service de Rembrandt et avec qui l’artiste avait entamé une liaison durable, enfin Titus (1668) – le seul enfant de Saskia et Rembrandt parvenu à l’âge adulte.
Et pourtant, malgré cette succession de malheurs et de revers de fortune que connaît Rembrandt, les années 1650-1669 se révèlent ses plus fécondes. Usé physiquement, éprouvé moralement, l’artiste n’en parvient pas moins à produire des merveilles.
Ses représentations religieuses se distinguent par une sensibilité et une profondeur d’analyse nouvelles, comme l’atteste son eau-forte de 1661, Les Trois Croix.

Les scènes de genre mettent particulièrement en avant le don de Rembrandt à traduire avec une incroyable économie de moyens l’intimité et la ferveur personnelle que ressent l’artiste envers ses sujets. Qu’ils soient mendiants, enfants (cf. L’Etoile des Rois, vers 1651), ou eux-mêmes quelque peu artistes comme Le Petit Orfèvre (1655).
Dans cette dernière scène de genre que gravera Rembrandt, l’artisan est représenté travaillant avec amour une planche, et caressant de sa main gauche la statue de la Charité (symbolisée par une mère étreignant ses enfants). Subtile allégorie dans l’allégorie: Rembrandt témoigne de son attachement pour la gravure – une technique qui nécessite autant de soins et d’inquiétudes qu’une mère procure à sa progéniture.

Notons que Rembrandt, libre d’esprit, s’intéresse à partir des années 1640 à la représentation de scènes érotiques. Ses scènes de nus sont souvent liées aux scènes mythologiques, anti-académiques dans sa jeunesse, mais bien plus « droites » dans sa vieillesse…

Enfin ses paysages gravés sont emprunts d’une rare fraîcheur et spontanéité – l’artiste, dit-on, emmenait une plaque de cuivre sous son bras lors de ses promenades en campagne afin de les graver sur le vif. A l’inverse de ses paysages peints, artificiellement plus dramatiques.
Les paysages typiquement hollandais de Rembrandt – chaumières, moulins, voiles – témoignent d’une composition de plus en plus unifiée et intelligemment construite. L’alternance des zones d’ombre et de lumière permettent de suggérer tout aussi bien une atmosphère de crépuscule (cf. Le Grand Paysage à la tour, vers 1651) qu’une belle journée estivale (cf. Le Bouquet d’arbres, 1652).

Si Rembrandt a été qualifié de « maître du clair-obscur », c’est précisément en raison de sa maîtrise des jeux de lumière, qui loin de démontrer une pensée manichéenne (suprématie du blanc sur le noir), reflètent toute la subtilité du peintre-graveur face aux variations atmosphériques, saisonnières, ou spatiales.
Rembrandt sait différencier, par son travail de la lumière, ce qui relève de ses observations objectives de la nature, de celles, plus subjectives, de la grande sensibilité de son être intérieur, face à son entourage.

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