Raymond Depardon, Terre Natale
Paul Virilio, Ailleurs commence ici
Jusqu’au 15 mars 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-TERRE-NATALE–AILLEURS-COMMENCE-ICI-TNATA.htm]
Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail 75014, 6,50€
Images sublimes vs douleur des mots. Paysages sauvages vs mégalopoles surpeuplées. Telle est la double équation posée par la nouvelle exposition présentée à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Le cinéaste et photographe Raymond Depardon y dialogue avec l’urbaniste et philosophe Paul Virilio. L’un est attaché à la permanence du monde rural, l’autre travaille sur la vitesse urbaine. Une confrontation dépaysante et bouleversante.
Spécialement conçues et soutenues par la Fondation Cartier pour l’art contemporain, « Terre Natale » et « Ailleurs commence ici » emmènent le visiteur aux quatre coins du globe. Non pour le simple plaisir des yeux, même si la dimension esthétique des installations contribue à leur valeur. L’intérêt réside essentiellement dans le message véhiculé par les paroles de ces hommes et femmes, enracinés dans leur terre, leur culture, mais pour combien de temps encore? Mondialisation oblige…
« Ecoutons ces gens, qu’ils soient Chipaya [ouest de la Bolivie], Yanomami [nord du Brésil et sud-est Venezuela], Afar [nord-est de l’Ethiopie, sud de l’Erythrée, nord de Djibouti], écoutons ces gens, et donnons-leur un peu la parole afin qu’on puisse les entendre s’exprimer dans leur langue, avec leur façon de parler, leur expression du visage », exhorte Raymond Depardon.
Gros plans sur ces visages burinés par le soleil, ces tribus qui vivent à l’état naturel, mais aussi ces bretons de l’Ile du Sein ou ce paysan occitan parlant le patois. R. Depardon s’est rendu, accompagné de Claudine Nougaret pour la prise de son, au Chili, en Ethiopie, en Bolivie, en France et au Brésil pour rencontrer ceux qui vivent en marge de la modernité. Pour leur offrir du respect et un droit de parole, que leur nient les politiques.
« Venant de parcourir le monde pour « donner la parole » aux […] minorités menacées […], j’ai éprouvé le besoin d’affronter le monde qui est le mien, celui de la ‘maladie de la vitesse’ que dénonce Paul Virilio », commente le cinéaste.
La deuxième partie de « Terre Natale » se présente sous la forme d’un journal filmé, uniquement composé d’images. Pas de parole ici. Raymond Depardon a capturé à leur insu des métropolitains, de Washington, Los Angeles, Honolulu, Tokyo, Hô Chi Minh-Ville, Singapour, le Cap et Paris, pour former un récit de voyage de 14 jours. Très peu flatteur pour l’espèce urbaine!
Au sous-sol, Paul Virilio confie la mise en scène de ses recherches urbaines aux artistes et architectes américains Diller Scofidio + Renfro, Mark Hansen, Laura Kurgan et Ben Rubin. Une première salle réunit une multitude d’écrans qui diffusent des archives de journaux télévisés, documentaires et photographies traitant des migrations humaines. Un exode rural autant qu’urbain – la nouvelle donne de l’économie moderne. Un enregistrement vidéo accueille le visiteur, présentant Paul Virilio marchant et exposant les concepts évoqués sur les écrans suspendus. Les images des écrans évoluent en fonction des couleurs, du mouvement, de la vitesse, selon une chorégraphie qui engendre des associations visuelles.
Dans la petite salle, une projection circulaire dynamique aborde les migrations de population sous la forme de cartes, textes ou trajectoires. Une sphère tourne sur 360° pour inscrire les données visuelles. Puis les effacer avant de revenir pour traduire une nouvelle information. Sont abordés les thèmes des migrations urbaines, des flux d’homme et d’argent, des réfugiés politiques, de l’augmentation du niveau de la mer et des villes qui disparaissent. La mise en scène réalisée par technologie informatique est fascinante. Elle permet en outre de rendre concret un concept – les migrations – derrière lequel se cache une réalité humaine dont le public occidental a certainement encore du mal à prendre conscience, pour entreprendre une quelconque action significative.
Paul Virilio remet en cause la notion de sédentarité à l’ère moderne. « Le sédentaire, c’est celui qui est partout chez lui, avec le portable, l’ordinateur, aussi bien dans l’ascenseur, l’avion, que dans le train à grande vitesse. C’est lui le sédentaire. Par contre, le nomade, c’est celui qui n’est nulle part chez lui », analyse-t-il. « D’ici 2050, 1 milliard de personnes seront forcées de se déplacer. C’est comme si la Chine partait en vacances ».
Une exposition qui bouleverse les yeux et l’âme. Transformé en touriste voyeur, le visiteur est confronté à deux visions dichotomiques. La magnificence de paysages sauvages, qui n’offrent plus de quoi vivre à ses natifs. Et celle de « l’outre-ville » (P. Virilio), approvisionnée en matières premières mais où la densité humaine devient irrespirable…
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