Tanella Boni, Essais/Documents, Editions du Panama, 272 pages, broché, 18€
Les femmes et l’Afrique. Deux sujets brûlants que Tanella Boni étudie dans Que vivent les femmes d’Afrique?, publié aux Editions du Panama (mars 2008). Un essai qui mêle citations cinématographiques, littéraires et sociologiques pour donner la parole aux femmes africaines – le meilleur antidote au silence que la domination masculine leur impose.
Docteur ès lettres de Paris-IV Sorbonne et membre du Conseil Scientifique du Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Mondialisations, Tanella Boni décrypte l’oppression que les femmes d’Afrique subissent sur un continent où l’homme est roi.
Recluses dans des lieux traditionnels – le marché, la cuisine, la maternité -, les femmes d’Afrique doivent servir avant tout leur homme. En commençant par lui donner des enfants – considérés comme « un don divin » – pour qu’il assure la lignée de sa famille et conforter sa place dans la société en tant que père. « Ici, le corps est un atelier ou une usine où se fabrique la femme. Il est le tout de la femme dans lequel la personnalité féminine n’est plus rien » (p. 166) écrit l’auteure.
Dès leur plus jeune âge, les filles sont à la fois soumises à diverses mutilations sexuelles en vue de supprimer leur propre droit au plaisir et intiées à des rites pour leur apprendre à satisfaire celui des hommes.
Une fois mariée, une jeune femme doit nourrir son mari en lui réservant les meilleurs morceaux comme le gésier de poulet, ses fils et tous ceux qui se réclament de sa famille. Parents, frères, cousins, autres épouses (le Coran autorise jusqu’à quatre femmes) et les enfants de celle-ci. « Je suis rentrée un soir à la maison et une femme avec deux enfants sur les bras m’y attendait. Elle m’a annoncé son intention de s’installer chez son mari.[…] Karl était son mari et le père de ses enfants » (p.180), raconte cette femme Belge, Michèle, qui a épousé le même Karl, un Congolais, en Belgique. Lorsque le couple part vivre au Congo, l’époux devient volage…
Les femmes se rendent traditionnellement sur les marchés pour faire leurs courses. Là, elles peuvent bavarder entre elles pour laisser échapper un peu de pression face aux devoirs, aux responsabilités, auxquelles elles doivent faire face. A la campagne, comme en ville.
Même dans les milieux intellectuels urbains, les femmes doivent combattre pour s’exprimer librement.
« L’on peut-être un intellectuel africain, discuter de la démocratie, se référer à Platon, et à la cité grecque, parler de De l’esprit des lois de Montesquieu, faire l’exégèse des textes de Marx, via Trotski ou Althusser, bref, faire preuve d’un bon niveau de culture occidentale, sans état d’âme, sinon avec fierté. L’on peut produire un discours sur l’environnement, sur l’impact de l’ajustement structurel, sur les difficultés du paysan ou de l’ouvrier africain: le débat sera qualifié de scientifique, académique, politique, idéologique, jamais d’occidental. L’intellectuelle africaine est acceptée dans le cercle des initiés, tant qu’elle se conforme au discours dominant et l’approfondit. Dès la première remise en cause, pour ‘inapplicabilité’ à la question des femmes, les critiques pleuvent: péché grave de féminisme; mythes de la persécution; manque de rigueur et d’objectivité scientifiques; mimétisme et occidentalisation, renforcement de la perception raciste de l’Occident; négation de la culture et perte de l’identité africaine […]. Dans tous les cas, les femmes n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes, si elles sont opprimées » (p. 254), cite Tanella Boni en se référant à une étude de Fatou Sow.
Dans son essai, l’auteure aborde le sujet des femmes en Afrique avec une démarche philosophique, s’interrogeant sans cesse sur le sens des mots qu’elle emploie, illustrant avec abondance et de sources variées ses propos. De magnifiques illustrations colorent les premiers chapitres qui décrivent les divers maux (moraux et physiques) auxquels sont confrontées les femmes en Afrique. Bien que la narration se lise facilement, le rendu reste académique et la réalité lourde à digérer.
La dernière partie, en revanche, est plus tonifiante car T. Boni s’intéresse aux relations entre hommes et femmes d’aujourd’hui, dans le contexte de la mondialisation et des quelques avancées en termes de droits de l’homme (de la femme!) sur le terrain.
Accusant les anciennes colonies sur l’héritage socio-culturel qu’elles ont légué aussi bien que les pouvoirs politiques actuels qui rejettent leurs responsabilités sur les précédentes, Tanella Boni porte un regard sans complaisance sur l’Afrique contemporaine, prise en étau entre ses traditions séculaires et une certaine modernité qu’elle n’assume pas. Surtout, l’auteure offre à toutes ces femmes – d’Afrique comme d’ailleurs – qui n’ont pas le pouvoir de s’exprimer un véritable cri d’alarme. Et d’espoir sur leur puissance potentielle dans le devenir d’un continent à la dérive.