Au Diable Vauvert, janvier 2012, 18€
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Auteur populaire de science fiction, Pierre Bordage publie un livre inédit – son premier roman de littérature générale – écrit au début des années 2000. Grâce à Marijo Pateau, cette épopée moderne sort sur les étales de librairie…
Tous les ans, cette enseignante d’information et communication à l’IUT de La Roche-sur-Yon, demande des manuscrits inédits à des auteurs publiés pour que ses élèves puissent travailler sur les étapes de la conception d’un ouvrage. Pierre Bordage lui fait don de Mort d’un clone.
Une des étudiantes de Mme Pateau, Marie Savoret, qui a fait son stage de fin d’études Au Diable Vauvert – la maison d’édition de P. Bordage – leur parle de ce roman inconnu. Ni une ni deux, Marijo Pateau prend RDV avec la directrice de la maison d’édition…
C’est ainsi que l’on découvre l’histoire de Martial Bonneteau, citoyen lambda menant une vie médiocre, engoncé dans sa routine pas joyeuse joyeuse, entre une Madame castratrice, deux fils à l’âge idiot, une fille dont il connaît juste le prénom, un employeur revêche. Bref, le lot de bien des hommes du XXIe siècle.
Un jour, évidemment, la carapace dans laquelle il s’est enfermée pour survivre cet enfer d’ennui, se fissure. Il s’initie aux plaisirs sexuels avec une prostituée de la rue Saint-Denis, quitte son boulot, apprend à connaître sa fille (pour ses fils aînés, c’est trop tard), et surtout, découvre sa vraie personnalité.
Pas vraiment de quoi en faire tout un patacaisse, me direz-vous! Une simple quête de soi. Pourtant, à la fois emprunt d’un style littéraire concis, mordant, et s’enflammant d’envolées lyriques époustouflantes, Mort d’un clone dresse un portrait acide de notre société. On rit, plutôt jaune, même si l’auteur pousse à ses limites la caricature de Martial Bonneteau (le lecteur se croit sauver en se disant qu’il ne ressemble que de très loin à cet anti-héros), de manière à mieux faire passer son message. Molière était le premier à avoir compris ce malin procédé!
D’autre part, le début du roman surprend. L’auteur coupe chacune de ses phrases par une définition de son cru. Ainsi « Le réveil: monstrueuse anomalie plastifiée vampirisant sans vergogne le faux stuc de la très navrante table de chevet. Le réveil et la table de chevet: cadeaux de mariage. Cadeaux de mariage: forme répandue de terrorisme familial (p.7) ».
Puis, l’histoire se déroule, entremêlée de nouvelles définitions (plus on avance dans le roman, moins il y en a): « Et mon Dieu les enfants avaient grandi. Croissance jugée sans problème. Sans problème: rythmée normalement par Noël, vacances, anniversaires, déménagements, hurlements, biberons, purées, diarrhées, rougeoles, varicelles, oreillons, morves, écoles, punitions, conneries, notes, convocations des parents, boutons, masturbations. Ils étaient devenus sans crier gare adolescents, acnéiques, affamés, renfermés, violents et banlieusards de la banlieue de Paris. Sous la poigne de-fer-dans-un-gant-d’acier de Madame, la scolarité des enfants s’était, à peu de chose près, normalement déroulée. Le genre de formation vaguement technico-quelque chose qui vous balance dans un boulot sûr et sous-payé lequel vous expulse lentement dans une fosse à retraite bien méritée » (pp13-14).
Mais le regard acéré de l’auteur, l’humanité qui se dégage des personnages (même Madame finit par remporter quelques sentiments de compassion) et la saveur du ton narratif qui surfe sur le conte mythologique, remportent au final l’adhérence du lecteur. Alors, que vous connaissiez ou non cet auteur de SF multi-primé, notamment pour Les Guerriers du silence (Grand prix de l’imaginaire), aujourd’hui adapté en bande dessinée, et Wang (Prix Tour Eiffel), n’hésitez pas à découvrir ce roman délicieusement décapant.