Editions Au diable vauvert, août 2010, 9€
Ecrivain américain trop lucide pour accepter de vivre, David Foster Wallace (1962-2008) a laissé à la postérité quelques chefs-d’oeuvre littéraires. Après La Fonction du Balai, voici dans un tout autre genre, C’est de l’eau. Un livret d’une centaine de pages, composées chacune de mini paragraphes. Qui en sont d’autant plus percutants.
Il s’agit en fait de la retranscription de son unique intervention du genre devant la promotion 2005 de Kenyon College sur le sujet de son choix: « Quelques pensées, exprimées en une occasion significative, pour vivre sa vie avec compassion ».
L’auteur part d’une parabole pour exprimer une piste de réflexion sur comment vivre sa vie le plus intelligemment possible.
« C’est l’histoire de deux jeunes poissons qui nagent et croisent le chemin d’un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit, ‘Salut, les garçons. L’eau est bonne?’. Les deux jeunes poissons nagent encore un moment puis l’un regarde l’autre et fait, ‘Tu sais ce que c’est, toi, l’eau?' » (pp.7-8).
Pour l’auteur, il s’agit de toujours se remettre en question. Car « les réalités les plus évidentes, les plus omniprésentes et les plus importantes, sont souvent les plus difficiles à voir et à exprimer » (p.12).
a partir de là, D. F. Wallace enchaîne sur une seconde histoire didactique, au sujet de deux hommes assis dans un bar au milieu des étendues sauvages de l’Alaska. L’un est croyant, l’autre athée et ils discutent de l’existence de Dieu « avec cette intensité particulière qui s’installe aux environs de la quatrième bière » (p.22). Celui qui est athée prend l’expérience qu’il a vécu pour justifier sa non croyance. Alors qu’il se trouvait en plein blizzard, par moins 50, loin de son camp, il se met à prier Dieu pour l’aider à s’en sortir. Son ami croyant, le voyant assis à côté de lui toujours vivant, en déduit que l’athée croie en Dieu maintenant. L’athée lui réplique dédaigneusement: « Non, mon pote, tout ce qui s’est passé, c’est que deux Esquimaux sont passés par là et m’ont indiqué la direction du camp » (p.27).
Ainsi, le non-croyant a une certitude absolue, arrogante, de la non-existence de Dieu et ne peut envisager que l’arrivée des Esquimaux aient quelque chose à voir avec sa prière. A l’inverse, certains croyants sont imbus de leur foi et ne peuvent accepter d’autres interprétations de ce en quoi ils croient.
Morale de l’histoire: avoir la plus large ouverture d’esprit possible est le seul moyen de vivre avec compassion. Apprendre à penser, c’est être moins arrogant, c’est avoir une perception critique de soi-même et de ses certitudes. « Ca signifie être assez ouverts pour choisir ce à quoi vous prêtez attention et pour choisir comment vous construisez le sens à partir de l’expérience » (p.55).
L’auteur termine sur le fait que selon lui l’athéisme n’existe pas car un adulte vénère toujours quelque chose. Qu’elle soit spirituelle ou consumériste. Or, si on ne garde pas tous les jours à l’esprit que vénérer des valeurs comme l’argent, le pouvoir, la beauté ou la jeunesse, on est foutu.
Un excellent guide à garder à porter de main pour se remettre les idées en place quand les expériences de la vie l’exigent!