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Pionniers de l’art moderne vietnamien

Lê Phô, Mai-Thu, Vu Cao Dam

Jusqu’au 9 mars 2025

#Expo3ArtistesVietnam

Musée Cernuschi, 7 avenue Vélasquez, Paris 8e

Le musée Cernuschi présente la première rétrospective consacrée à trois peintres de l’art moderne vietnamien, Lê Phô (1907-2001), Mai-Thu (1906-1980), Vu Cao Dam (1908-2000). Une rencontre majestueuse entre traditions vietnamiennes et art occidental.


Lê Phô, Paysage du Tonkin, Hanoï, entre 1932 et 1934. Paravent en trois panneaux de bois laqué Collection de la famille Lam © Adagp, Paris, 2024

À la fin du XIXe siècle, la France impose un protectorat en Indochine. Nguyên Van Tho dit « Nam Son » favorise la création d’une École des beaux-arts à Hanoï (1925), qui sera dirigée par le professeur Victor Tardieu. Ce dernier favorise la reconnaissance des oeuvres de ses élèves en les présentant aux expositions coloniale (1931) et universelle (1937), garante d’un large public.


Mai-Thu, Femme à sa coiffure, Nice, 1942. Couleurs sur soie Collection particulière © Comité Mai-Thu, ADAGP Paris, 2024

Les concepts de l’art occidental s’observent dès les premières oeuvres présentées dans l’exposition. Vieux lettré assis (1935) de Mai-Thu évoque l’assimilation de l’individualité dans l’art vietnamien à travers ce portrait à la pose de trois-quarts (issue de la Renaissance italienne) qui reflète les états d’âme du vieil homme. Dans ses dessins, il représente les femmes avec la tunique traditionnelle, l’áo dài, cintrée pour révéler quelques formes. Son étude de train (vers 1925-1928) témoigne du réalisme et de la perspective, deux notions académiques européennes.


Lê Phô, Le col des Nuages [Đèo Hải Vân], entre Huê et Danang, Vietnam, 1937. Huile sur toile Collection particulière © Adagp, Paris, 2024

Portraits de profil et personnages perdus dans leur pensée sont également visibles chez Lê Phô (Femme au chignon, 1931), dont la palette centrée sur les tons bruns et verts créent une atmosphère silencieuse et nostalgique.

La simplification des formes, adoptée par l’Art déco dans les années 1930, se remarque particulièrement dans les sculptures de Vu Cao Dam. Ses coqs en fonte – animal prisé pour son symbole de courage dans les cultures vietnamienne et française – témoignent d’une synthèse entre les deux cultures.

Victor Tardieu incite ses élèves à ne pas trop imiter les peintre occidentaux et à approfondir l’histoire de l’art de leur propre pays. Il les emmène faire des relevés architecturaux des temples et des statues qu’ils contiennent (Lê Phô, Étude d’une statue de bodhisattva, entre 1925-1930). Plus loin, Mai-Thu réalise le Portrait de Mme N.D. et de sa fille en abonnant toute profondeur (absence de perspective typiquement orientale) mais en conférant au visage de la jeune femme des plis et contours d’un réalisme tout occidental.

Bien que maîtrisant la peinture à l’huile, les trois artistes installés en France à partir de 1937, pratiquent la peinture sur soie, pour se démarquer et répondre à l’attente du public français. Ils créent un style commun qui met en scène un Vietnam idéalisé, où des jeunes femmes à tuniques modernes évoluent dans un décor traditionnel. Les lignes sont épurées, les visages dénués d’expression, les couleurs harmonieuses.

À la fin des années 1940, loin de toute préoccupation du conflit mondial, Lê Phô fait évoluer sa palette chromatique vers des couleurs plus chaudes, plus franches, sous l’influence des Nabis, admirés par la clientèle américaine. La recherche de la lumière se centre autour de jaunes vifs qui captent le regard (Femmes au jardin, 1969 ; La Lettre, entre 1960-1970).


Vu Cao Dam, Divinité, Saint-Paul de Vence. 1961. Huile sur toile. Collection de la famille Barrère © Adagp, Paris, 2024

Les compositions à la Chagall de Vu Cao Dam s’animent également d’une pointe de couleurs chaudes : jaune vif de la tunique dans Maternité jaune (1993), soleil rougeoyant sur une tunique blanche et fond bleu dans Divinité (1981).


Mai-Thu, Fleurs de pommier japonais, Vanves. 1976. Couleurs sur soie
Collection Almine Ruiz Picasso © Comité Mai-Thu, ADAGP Paris, 2024

Seul Mai-Thu s’emploie à représenter les souffrances de la guerre du Vietnam (1946-1975). La séparation des membres de la famille, la famine, sont traitées avec la même retenue que la beauté de la femme et la pureté de l’enfant. Dans Les Orphelins, trois enfants en haillons se tiennent sous un ciel rougeoyant, suggérant des bombes.
La dernière de ses oeuvres, Fleurs de pommier japonais (1976), clôt le parcours sur un vibrant hommage aux cultures vietnamienne et française, avec une branche en fleurs comme symbole d’espoir et de renouveau. Après l’enfer.

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