La passion à l’oeuvre – Rodin et Freud collectionneurs
Jusqu’au 22 février 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-LA-PASSION-A-L-OEUVRE–FREUD.htm]
Musée Rodin, 79, rue de Varenne 75007, 6€
Le musée Rodin présente une riche exposition qui dresse un parallèle inattendu sur l’acte de collectionner des antiques entre le psychanalyste viennois Freud et le sculpteur Rodin. Si le premier lit dans les pierres un langage, le second y perçoit de la matière…
« Saxa loquuuntur« , disait Freud, les antiques parlent et ce langage doit être déchiffré. « C’est de la vraie chair! », s’exclamait de son côté Rodin.
Pour l’un comme pour l’autre, les vestiges archéologiques, des statues aux moindres fragments, ne constituent pas de simples pierres. Ils représentent les vestiges d’un passé qu’il s’agit de décrypter.
« Pareil en cela à l’archéologue qui fouille la terre, le psychanalyste doit mettre au jour, strate après strate, la pysché du malade, afin d’exhumer les trésors enfouis au tréfonds », écrit Freud. Grâce à un prêt exceptionnel du musée Chiaramonti au Vatican, le moulage de la Gradiva (« celle qui marche en avant »)* est exposée. Sigmund Freud découvre cette pièce lors d’un voyage à Rome en 1907. De retour à Vienne, il en accroche le moulage en plâtre au pied de son divan. Ses patients la surnomment Gradiva rediviva, « celle qui revit et va donner vie, forme, objet au désir ». De fait, la Gradiva devient une métaphore du travail d’analyse de Freud, la psychanalyse étant perçue comme une forme d’archéologie, qui cherche à extirper des connaissances dans les profondeurs de l’inconscient.
« En fait, l’interprétation des rêves est tout à fait analogue au déchiffrement d’une écriture pictographique ancienne telle que les hiéroglyphes d’Egypte » (in Visage de Freud, Hilda Doolittle, 1977, p.186).
L’association de mots chez Freud se traduit chez Rodin par l’assemblage de fragments antiques avec ses propres créations. Dans un premier temps, le sculpteur s’inspire des antiques pour ses sculptures. Telle la statue du roi Ptolémée III Evergète Ier, 332/30 av. J.-c. qui lui inspire son Torse de l’Homme qui marche, 1878/79). A partir de cette oeuvre, Rodin crée des figures amputées d’un membre (bras, tête), conservant les aléas de leur fabrication ou la trace du groupe de sculptures don elles sont extraites.
Empreint de la lecture des Métamorphoses d’Ovide, Rodin inscrit son oeuvre dans l’universalité du mythe.
Dans un stade ultime, l’artiste s’approprie des vases antiques dans lesquels il place ses figurines en plâtre – art dit de l’assemblage.
Si Rodin et Freud ne se sont jamais rencontrés – les recherches n’ont pas pu prouver le contraire jusqu’à présent – ils évoluent dans des cercles communs, avec certaines personnalités telles Marie Bonaparte (elle introduit les recherches de Freud à Paris) et Rainer Maria Rilke (il diffuse le travail de Rodin à Vienne), jouant le rôle de « passeurs d’idées », explique la commissaire de l’exposition, Bénédicte Garnier.
Les deux hommes ont ainsi partagé, sans le savoir, une même passion extravagante pour les antiques, qui envahissent progressivement leur lieu de travail: le bureau de Freud à Vienne, puis sa maison à Londres, lorsqu’il doit s’exiler pour fuir le nazisme; la villa de Rodin à Meudon. A sa mort, le psychanalyste laisse derrière lui plus de 3.000 antiques (1939)… Rodin en lègue le double (1917)!
C’est lors d’une visite au neurologue Jean-Martin Charcot, professeur à la Salpêtrière, dont le bureau est juché d’antiques, que Freud rêve « d’égaler ce grand médecin qui vit dans un musée » (Lettre de Freud à Martha, 1886). Mais il lui faut attendre dix ans avant de commencer à collectionner les antiques.
Freud privilégie leur iconographie et admire les recherches de l’archéologue allemand Heinrich Schliemann (1822-1890), qui découvre les vestiges de Troie. Tandis que Rodin s’intéresse plus aux formes et voue une passion pour les artistes antiques tel le Grec Phidias (490-430 av. J.-C.).
Rodin se procure ses pièces chez les antiquaires parisiens et les salles de vente de l’hôtel Drouot. Il achète à peu de frais de nombreuses antiquités provenant de la vente d’anciennes collections (Durand, James-Alexandre de Pourtalès-Gorgier, Léon Somzée) ou tout juste exhumées des chantiers de fouilles grecs, italiens ou égyptiens. Après avoir choisi ses pièces, le sculpteur s’installe face à face avec l’antique pour décider si elle aura l’honneur de trôner dans son « musée des antiques » à Meudon ou si elle sera reléguée dans une salle annexe.
En sus des magnifiques pièces que l’exposition présente – la collection de Freud, conservée au Freud Museum (Londres), est dévoilée pour la première fois à Paris -, « La passion à l’oeuvre » présente les bibliothèques de Freud et Rodin et s’accompagne de citations poétiques, qui éclairent avec clairvoyance l’oeuvre de deux personnalités fondamentales qui changeront l’Histoire du XXe siècle.
*Roman de Wilhelm Jensen s’intitulant La Gradiva, Fantaisie pompéienne (1903). Carl Jung en conseille la lecture à Freud en 1906. Il s’agit de l’histoire d’un archéologue, Norbert Hanold, qui tombe en adoration devant un bas-relief du musée archéologique de Naples. Il s’en procure un moulage qu’il rapporte en Allemagne. Harnold devient obsédé par l’image de la femme, qu’il nomme Gradiva. Une nuit, il rêve qu’il la rencontre dans Pompéi, alors que le Vésuve est en éruption. Une fois réveillé, il reste persuadé que la Gradiva a réellement existé et qu’elle a été ensevelie. Devant faire un voyage à Pompéi, il croit reconnaitre la Gradiva. Il s’agit en fait son amie d’enfance, Zoe Bertgang. La jeune fille se déguise alors en Gradiva, guérit Harnold de son délire et réveille son amour pour elle.