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Paris sous les feux de la photographie couleur

Paris en couleurs, des frères Lumière à Martin Parr

Jusqu’au 31 mars 2008

Hôtel de Ville, salle Saint-Jean, 5, rue Lobau 75004, entrée libre.

L’Hôtel de Ville propose une exposition chatoyante sur les photographies en couleur de Paris, prises entre 1907 à nos jours. Ces témoignages artistiques des transformations urbaines de la capitale bouleversent l’imaginaire nostalgique lié aux photographies en noir et blanc, habituellement associées au Paris d’après-guerre.


Paris en couleurs présente trois cent photographies, le plus souvent de grands photographes, pourtant inédites ou peu connues, d’un Paris vivant et coloré.
Si les premières oeuvres font preuve des balbutiements des procédés industriels concernant l’usage de la couleur – les visages des sujets photographiés sont généralement flous -, à l’inverse, les oeuvres contemporaines jouent de cet effet coloré. Martin Parr, en particulier, excelle à tourner en dérision les codes vestimentaires et les comportements du tourisme de masse en accentuant la vulgarité des couleurs envahissant, à travers toutes les formes de l’image, notre société de consommation.
Cette exposition rend hommage à l’autochrome, sans qui la photographie couleur n’aurait jamais existée. Les frères Louis et Auguste Lumière, déjà connus pour avoir inventé le cinématographe, présentent le 10 juin 1907, devant 600 invités, le premier procédé industriel de photographie couleur – l’autochrome. Une invention relatée dans le journal L’Illustration, dont le document original est ici montré.
La plaque autochrome Lumière – ancêtre de la diapositive – consiste en une plaque de verre recouverte de huit à neuf mille grains de fécule de pomme de terre par millimètre carré. Ces grains colorés en violet, vert et orangé sont fixés sur la plaque à l’aide d’un enduit. Une application de carbone comble les interstices entre les grains. Lors de la prise de vue, les rayons lumineux traversent les grains de fécule, qui jouent le rôle de filtre, avant d’atteindre la couche sensible. Deux développements successifs transforment la plaque en positif pour restituer les couleurs réelles de la nature. Un vernis est appliqué pour augmenter l’éclat et la transparence des couleurs et protéger la surface de la couche contre les détériorations. Cette plaque positive est visionnable par transparence.

Le banquier Albert Kahn (1860-1940) finance alors un vaste projet d’Archives de la planète, pour immortaliser les premières années du XXe siècle. Il emploie une quinzaine de photographes et cinéastes professionnels pour parcourir près de 50 pays. Il en résulte 72.000 autochromes et 180.000 mètres de film fixant « une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps », prévient A. Kahn.

De fait, que saurions-nous des événements d’actualité sans les autochromes? A Paris, Léon Gimpel (1873-1948), photographe de presse à L’Illustration, immortalise les premiers clichés de la ville de nuit, des enseignes lumineuses aux illuminations de l’Exposition coloniale de 1931.
Puis c’est au tour de Gisèle Freund (1908-2000), photographe allemande réfugiée en France, de se spécialiser dans les portraits en couleurs des grandes personnalités de l’époque: Cocteau, Sartre, Yourcenar, Beckett, etc.

Après la parenthèse de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il était interdit de photographier la ville, sauf autorisation accordée parles autorités allemandes – d’où les rares témoignages montrés dans l’exposition sous la forme d’un diaporama de 70 images, d’André Zucca (1897-1973), de Walter Dreizner (1908-1996), et du photographe indépendant Jean Lemaire -, la photographie couleur explose sous l’effet de la mode et de la publicité. Peter Cornelius (1913-1970) et Robert Capa (1913-1954) arpentent les rues de la capitale, le premier pour capter les couleurs changeantes et l’ambiance de Paris, le second, grand photographe de guerre et co-fondateur de l’agence Magnum, pour s’essayer à la mode (cf. affiche de l’exposition).

Parallèlement, les photographes dits humanistes français – Robert Doisneau, Edouard Boubat, Jean-Philippe Charbonnier, Lucien Lorelle, Ina Bandy, Willy Ronis et Brassaï – montre un Paris d’après-guerre fraternel, drôle, pauvre mais heureux, à travers des clichés en noir et blanc, idéalisés et guère représentatifs du vrai visage de Paris des années 1950 et 1960.

A la fin des années 1960, la couleur, banalisée, supplante le noir et blanc. L’essor de la mode et de la publicité accélère le mouvement comme l’attestent les photograhies de Sarah Moon et de Paolo Roversi. Aujourd’hui Jean-Paul Goude, Massimo Vitali, Philippe Ramette exploitent le medium dans une tonalité burlesque, artistique, et confirment que la photographie couleur est un nouveau moyen d’expression artistique.

Au-delà de l’esthétique de l’ensemble des photographies présentées, qu’elles soient anciennes, modernes ou contemporaines, ce corpus artistique joue un rôle fondamental au niveau historique. Il démontre à quel point Paris a changé, et vite. « La vie surtout: la rue, les commerces, les automobiles, les enseignes lumineuses, les publicités, le mobilier urbain, les vêtements, l’exubérance des manifestations publiques, des fêtes et des foules, les enfants dans la rue. », commente la commissaire de l’exposition Virginie Chardin. Il est vrai que, sans ces photos, nous n’aurions guère conscience de la précarité des conditions de vie de nos grands-parents…

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