Jusqu’au 21 septembre 2025
#ExpoIA
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 1er
Le Jeu de Paume propose une exposition inédite sur les liens entre l’Intelligence Artificielle (IA) et l’art contemporain. De l’IA analytique (systèmes de reconnaissance faciale) à l’IA générative (création de contenus visuels et sonores), le parcours qui étonne, enchante, voire effraie, explore les bouleversements qu’apporte l’IA à notre rapport au monde.

Nouf Aljowaysir, Salaf #74: Man in Arab Costume [Ancêtre #74: L’Homme en Costume Arabe], 2020. Photographie avec masque IA Réalisée à partir de Jean Greiser (1848- 1923), environ 1870. Collection de photographies orientalistes de Ken et Jenny Jacobson, The Getty Research Institute, Getty Museum © Nouf Aljowaysir
Quarante-six artistes d’envergure internationale exposent leurs oeuvres à travers un parcours assez bruyant mais globalement fascinant.
La première oeuvre surprenante est Alien Internet (2023) d’Agniesta Kurant. L’artiste polonais (né en 1978) présente une forme de vie grouillante qui évolue grâce au ferrofluide dans un champ électromagnétique contrôlé numériquement, alimenté par les données de plusieurs instituts scientifiques. Alien Internet matérialise ces intelligences collectives non humaines.
L’Américain Trevor Paglen (né en 1974) présente l’installation vidéo Behold Glorious Times! (2017), constituée de deux types d’images, projetées en mosaïque, dans un rythme effréné. Les premières proviennent des données avec lesquelles les systèmes de reconnaissance vision artificielle sont entraînés à reconnaître des objets, visages, émotions, et gestes. Les secondes nous révèlent ce que ces systèmes « voient » quand ils analysent les-dites données.
T. Plagen expose également une installation interactive, dans laquelle le visiteur qui approche son visage de la caméra cachée, voit s’afficher des clusters d’images avec des mots clés associés qui déterminent sous quelle étiquette de métier/personnalité il peut être classé. Pour ma part, j’ai eu droit à « woman manager » !

Christian Marclay, The Organ, 2018. Installation audiovisuelle interactive, clavier connecté à une projection sur écran, extraits de vidéos provenant de Snapchat. Avec le soutien de Snap Inc. © Christian Marclay & Snap Chat
À l’étage, j’ai beaucoup aimé, bien que le volume soit beaucoup trop fort, le fait de pianoter sur l’oeuvre de Christian Marclay (Américain, né en 1955). Un clavier est relié à un écran et à chaque touche pressée, une rafale de vidéos issues de l’application Spachat apparaît sur l’écran. L’oeuvre interroge de manière ludique la très sérieuse question de l’utilisation de nos données sur Internet.
Le Canadien David Jhave Johnston (né en 1964) initie un joli projet de poésie générative ReRites (2017-2018). À partir de GPT-2, entraîné sur 600 000 vers, l’artiste améliore et réinvente les poèmes générés numériquement, lors de séances de co-écriture. Il questionne ici les notions d’originalité et de créativité humaine à l’heure de l’IA.
La Sénégalaise Linda Dounia Rebeiz (née en 1994) combine dans Tongues (2025) la calligraphie traditionnelle et l’IA. Elle dessine des textes inspirés de sept systèmes d’écriture existants, qu’elle fournit à des GANs pour générer une écriture asémique (sans sens défini, qui évoque des écritures indéchiffrables). L’oeuvre propose une « interlangue », propre à l’IA, qui transcende les langues humaines.

Le Russe Egor Kraft (né en 1986) utilise l’IA pour recomposer les morceaux manquants des sculptures antiques, en l’entraînant avec des milliers d’images de statues. Or, en 2018, les machines pouvaient faire des erreurs et créer des formes impossibles, appelées « hallucinations des IA ».
C’est ce même principe défectueux qu’utilise le Français Julien Prévieux (né en 1974) dans Poem Poem Poem Poem Poem (2024-2025). Un groupe de chercheurs a demandé au chatbot de ChatGPT de répéter le mot poem ou book à l’infini. Mais le système révélait les textes qui avaient servi à son entraînement, dont des extraits de publicité, des mentions légales, des menus de restaurants, des e-mails privés et même la Bible, collectés certainement sans consentement. Cette faille technologique a été corrigée depuis.

Holly Herndon & Mat Dryhurst, xhairymutantx 2024-2025. Vidéo composée d’images générées par un modèle d’IA spécifique, QR Code pour générer des images à partir de prompts © Holly Herndon & Mat Dryhurst
Le couple Holly Herndon (née en 1980 aux États-Unis) et Mat Dryhurst (né en 1984 au Royaume-Uni) travaille sur des questions éthiques fondamentales : Qui choisit la façon dont les modèles d’IA nous représentent ? Pouvons-nous reprendre le contrôle sur cette représentation ?
Une exposition intense, cruciale, à ne pas manquer.