L’espace culturel Louis Vuitton donne un aperçu de la scène artistique coréenne avec une exposition renversante de créativité. « Métamorphoses » explore les changements qui se sont opérés dans la civilisation coréenne depuis l’entrée du pays dans une phase de mondialisation (années 1990). Les dix artistes présentés témoignent avec autant d’humour que d’angoisse de la mutation radicale en cours.
La modernisation de la Corée s’est fait de manière soudaine et rapide. D’ailleurs, l’expression pali pali, signifiant à la fois « se dépêcher » et « vite » constitue l’un des mots les plus employés dans le langage courant, précise Sunjung Kim (professeur à la Korea National University of Arts et commissaire indépendant).
L’occupation japonaise (1910-45) suivie de la Guerre de Corée (1950-53) a fomenté la révolution du 19 avril 1960 qui s’est soldée par un coup d’Etat militaire (1961). L’instauration de la loi martiale, sous prétexte de contrer le communisme, s’est avérée un outil pratique aux mains de la dictature militaire pour assurer son maintien au pouvoir et contrôler les masses. Une politique plus libérale, récompensée par les Jeux Olympiques de 1988, a permis de faire entrer le pays dans la voie de la mondialisation.
Mais le pays reste divisé et les artistes sont indéniablement marqués par cette réalité.
Telle Heryun Kim (née en 1964, à Changwon), qui habite entre Berlin, Séoul et Heyri – un village situé près de la frontière entre la Corée du Nord et du Sud. Dans ses paysages à mi chemin entre l’impressionnisme et l’abstraction (Injured landscape in Imjingang, DMZ, 2004), des barbelés symbolisent la séparation du pays. De l’autre côté du fil de fer apparaît une nature, reflet d’un autre monde. Meilleur? Jeon Joonho (né en 1969, à Busan) dénonce l’absurdité de la guerre avec Hyper Realism – Statue of Brothers (2007). Des figurines habillées de vêtement militaire évoluent en dansant sur un air de valse viennoise, dans l’enceinte d’une prison, les bras dans l’action d’enlacer. Mais ces frères ne peuvent que se contourner sans jamais s’atteindre réellement. L’artiste s’est inspiré d’une histoire vraie, celle de deux frères devenus soldats de camps opposés, devant s’affronter pendant la Guerre de Corée.
Thème de la déchirure qui se retrouve dans l’oeuvre de Sookyung Lee (née en 1963, à Séoul), Translated Vases (2007). Des morceaux de porcelaine brisés sont de nouveau soudés avec de l’or pour former des sculptures hybrides, loin de la surface lisse et sans défaut généralement associée aux oeuvres en porcelaine.
Métamorphose, oeuvres à la frontière entre la réalité et l’imaginaire. Ainsi des créatures de Hyungkoo Lee (né en 1969, à Pohang) qui réalise des squelettes de personnages de fiction, inspirés des bandes dessinés américaines (Bugs Bunny, Droopy, Bip-Bip, Tom & Jerry), à qui il attribue des noms latins pour les intégrer dans le monde réel (Geococcyx Animatus, Lepus Animatus, Ridicularis, 2008). Ou encore des vidéos de Yongseok Oh (né en 1976, à Séoul) synthétisant des paysages réels et imaginaires (Cross, series, 2002-03).
Comme le monde de Ham Jin, City on a bombshell (2006). L’artiste (né en 1978, à Séoul) a reconstitué une ville miniature sur une bombe d’essai, trouvée sur une base militaire américaine, pour symboliser la peur de la guerre autant que le danger menaçant l’humanité. Avec des matières de la vie quotidienne (bouchons, couvercles, peaux mortes, ongles, poissons séchés, grains de riz, vers à soie, etc.) Ham Jin met en scène des habitants en train de vivre. A table, en train de rouler, de se baigner, d’arroser un jardin, il y a même une prison et un hôpital. Les figurines humaines semblent complètement inconscientes de la menace qui repose sous leurs pieds. Une ville microscopique qui s’oppose à la pesanteur de la bombe et qui agit comme une métaphore du monde réel.
Plus positive, l’oeuvre de Do Ho Suh (né en 1962 à Séoul), Cause & Effect (2007-08) représente une sculpture en trois dimensions, composée de figurines en plastique montées sur les épaules des unes et des autres pour former une gigantesque expansion colorée, évoluant du jaune au rouge. Pour l’artiste, l’homme peut changer son destin, influencer l’avenir, grâce à son action en communauté.
En contrepied de cette exposition, le collectif d’artistes Flying City anime l’une des vitrines de la boutique Louis Vuitton sur les Champs-Elysées.
Ces oeuvres fortes, dynamiques, témoignent de l’évolution bouillonnante que subit la culture coréenne. « Autant de métaphores d’une humanité post-moderne où l’humour et l’absurde viennent questionner les représentations de l’homme », souligne Hervé Mikaeloff, commissaire de l’exposition.