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Expo-événement: Louise Bourgeois traverse enfin la Manche!

Louise Bourgeois

Jusqu’au 2 juin 2008

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee-et-Exposition-BILLET-MUSEE—EXPOSITIONS-MUSEX.htm]

Centre Pompidou, niveau 6 et 4 & Forum, place Georges Pompidou 75004, 01 44 78 12 33, 10€ (gratuit le 1er dimanche de chaque mois). Visite commentée tous les samedis jusqu’au 2 juin 2008.
+ Jardin des Tuileries

La rétrospective sur Louise Bourgeois constitue l’événement phare du mois de mars à Paris. Co-organisée avec la Tate Modern de Londres, cette exposition d’envergure – près de 200 oeuvres présentées – couvre les années 1938 à 2007. Si Paris a attendu cette venue, les visiteurs pourront bénéficier des tous derniers dessins de l’artiste (non présentés à Londres), qui, à 96 ans, sait encore regénérer son art!


Une Araignée géante en bronze et acier, jamais montrée en Europe. Ainsi commence l’exposition du Centre Pompidou. Cette oeuvre clé dans l’oeuvre de Louise Bourgeois symbolise la figure maternelle, une tisseuse par nature, telle que l’était sa mère (une version monumentale de l’Araignée, intitulée Maman, 1999, est présentée dans le Jardin des Tuileries).

Personnalité charismatique, Louise Bourgeois auto-analyse son oeuvre, qu’elle lie aux traumatismes de son enfance. Son art, fortement autobiographique, est un moyen pour elle d’exorciser la souffrance de son passé.

« Je m’appelle Louise Joséphine Bourgeois. Je suis née le 25 décembre 1911 à Paris. Tout mon travail des cinquante dernières années, tous mes sujets, trouvent leur source dans mon enfance. Mon enfance n’a jamais perdu sa magie, elle n’a jamais perdu son mystère, ni son drame. »

Quel est ce drame qui ne cessara de tarauder l’artiste? L’infidélité de son père avec la gouvernante, Sadie Gordon Richmond, entrée au sein de la famille (1922-32) pour apprendre l´anglais aux enfants.
Le père, Louis Bourgeois, tient une galerie spécialisée dans la restauration et la vente de tapisseries du Moyen-Age et de la Renaissance. La mère, Joséphine Bourgeois, née Fauriaux, dirige le travail des couturières. A 11 ans, Louise aide ses parents en dessinant les parties manquantes (surtout les jambes et les pieds) des tapisseries restaurées. Ici réside le terreau fertile qui servira à nourrir l’imagination de la future artiste. Parallèlement, la jeune Louise commence un journal intime, pratique d’auto-analyse, qu’elle n’abandonnera jamais.

Plus tard, Louise entame des études artistiques. Elle intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Paris mais n’y fait qu’un bref passage. Elle en sort avec un nouveau traumatisme, comme l’explique le captivant film diffusé dans la galerie des arts graphiques (niveau 4): son modèle a soudain une érection. Extrêmement gênée pour lui, Louise explique qu’elle découvre à ce moment là qu’un homme peut souffrir.
Le phallus devient une figure récurrente de son oeuvre (cf. niveau 6). Il incarne l’ambivalence du masculin et du féminin, du dur et du mou (la sculpture est en latex) et la volonté de Louise – femme – de protéger cette anomatomie virile. Par provocation, elle appelle sa sculpture Fillette (1968) et se promène avec! Cette figure à la fois féminine et phallique symbolise la force du mâle qui s’oppose à la faiblesse du nourrisson. Le cycle de la reproduction, la maternité – jugée érotique par L. B. – constitue ainsi le fil conducteur de son oeuvre.

« Il faut abandonner le passé tous les jours ou bien l’accepter. Et si on n’y arrive pas, on devient sculpteur ». D’où The Destruction of the Father (1973). Complexe d’Oedipe oblige, il fallait bien tuer le père! Cette oeuvre naît lorsque Louise perd brutalement son mari, Robert Goldwater, historien d’art américain, auteur d’une thèse sur le primitivisme, avec qui l’artiste a eu deux garçons (le couple avait adopté un autre garçon avant de quitter la France pour New York en 1938).
« C’était une pièce très meurtrière, une pulsion qui survient lorsqu’on est trop tendu et que l’on retourne contre celui que l’on aime le plus », confie Louise Bourgeois (in Wye, 1982, p.95). Cette oeuvre de 1974 représente des mamelles et un phallus « dans un festin cannibale », commente la co-commissaire de l’exposition, Marie-Laure Bernadac. L’artiste découvre que cette oeuvre funéraire joue un rôle cathartique. Elle a une approche fétichiste envers son travail, assimilé à des totems. D’abord en bois puis en bronze car « il permet la réflection de son image dans la matière », explique-t-elle.
Dès l’origine, Louise Bourgeois pratique la sculpture tel un sorcier des cultures primitives. En attestent ses Personnages des années 1950, lorsque Louise a le mal de l’Hexagone. Elle utilise le toit de l’immeuble new-yorkais où elle vit avec sa famille comme atelier. Personne ne monte là-haut car des tuiles en tombent. Ici, elle est libre pour créer. « J’ai adopté cet endroit en plein air, et j’ai recréé tous les gens que j’avais laissés en France. Ils étaient massés les uns contre les autres; ils représentaient tous les gens dont je n’aurais pas admis qu’ils me manquaient. Je ne l’aurai pas admis, mais le fait est qu’ils me manquaient terriblement. »

Ces figures géométriques ont marqué l’histoire de la sculpture du XXe siècle. « Non seulement les tours géométriques préfigurent la sculpture minimaliste des années 1970, notamment celle d’un Carl André, mais Louise Bourgeois parvient à concilier la rigueur formelle, la simplification abstraite d’un Brancusi avec l’existentialisme subjectif et profondément humain d’un Giacometti. Elle y ajoute une dimension ‘primitiviste’, non pas tant dans les formes que dans la fonction magique », commente Marie-Laure Bernadac.

Artiste du corps – « Ma sculpture est mon corps, Mon corps est ma sculpture » -, de l’organique, de l’identité, de la sexualité, Louise Bourgeois représente une figure majeure de l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècle. Une raison suffisante pour aller voir cette exposition, dont le point fort, hormis les oeuvres, reste à mon goût la vidéo diffusée dans le cabinet d’art graphique (malheureusement peu audible). Car elle expose le charisme de cet artiste franco-américaine, qui en dépit de sa méfiance des mots sait parfaitement parler de son oeuvre.

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