Ed. Au Diable Vauvert, 168p., 15E
A 85 ans, l’auteur camarguais Denys Colomb de Daunant (Crin Blanc, 1953) écrit toujours. Les éditions Au Diable Vauvert publient un coffret comprenant ses trois derniers chefs d’oeuvre: Les Trois Paradis, Le Séquoïa, La Nuit du Sagittaire.
Maroc, Amazonie, Espagne – trois lieux différents pour une même thématique: la transition entre le passé et le présent, les coutumes anciennes et la vie moderne, la supposée liberté indigène face à l’aliénation citadine.
Dans Les Trois Paradis – roman qui se déroule dans les années 1950 – Brahim, marchand de bric-à-brac, parcourt le désert saharien, accompagné de sa fille Leïla pour approvisionner les dernières tribus nomades. Non pas à dos de chameaux mais – comble de richesse aux yeux des locaux – dans une voiture motorisée.
« Tu dois savoir, dis Aïssa, chef du village, que, pour nous, les temps anciens se meurent, alors que les temps nouveaux ne sont pas encore parvenus jusqu’ici. Hier, nous avions nos souks de campagne, où le commerce se faisait, et nous allions vendre et acheter en chantant tout au long du chemin. Aujourd’hui, nous ne sommes plus beaucoup dans la vallée, car la plupart des hommes et leur famille sont partis pour les villes dont tu connais le secret, Brahim. Si ton automobile ne venait pas avec toi jusqu’à nous, que deviendrons-nous, nous aussi? » (p.29).
Vendeur de rêves, Brahim conte aux nomades le « paradis » urbain. Un paradis qui consiste pourtant à faire travailler les jeunes immigrés sur la chaîne de montage des usines Renault. D’où la complicité qui se noue entre l’auteur et le lecteur, chacun savant pertinemment – contrairement aux crédules personnages – à quoi ressemble ce paradis terrestre. On a envie de leur crier, ne faites pas cette erreur, gardez votre liberté et votre rythme de vie en osmose avec la nature!
Mais le jeune Sahel n’a plus qu’une idée en tête: prendre le bus, puis le bateau pour atteindre la belle Marseille. Car, avec l’argent gagné « là-bas », il pourra revenir au pays acheter Leïla.
Même Brahim, qui dit avoir vu la ville, se laisse bercer d’illusions, au son de ses propres mots. Envoûté par la publicité qui se propage sur les ondes radiophoniques, il rêve d’exotisme urbain. « Dans la ville coule l’eau d’un oued immense qui jamais ne sèche, même pas au cours de l’été. Dans la ville, la nuit, on y voit comme dans le jour. Il y a des bouquets de lumière comme des millions de soleil. L’homme et la femme mangent deux fois de la viande dans la même journée. Et tellement ils sont forts que pas un seul n’est jamais fatigué. Toujours ils courent, toujours ils sont pressés. » (p.75).
Dans un style à la fois poétique et populaire, truffé de proverbes empruntés à la sagesse berbère, Denys Colomb de Daunant décrit le fossé technologique et culturel entre l’Europe du Nord et les pays du Sud, né de la révolution industrielle .
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Dans Le Séquoïa, l’auteur – également photographe, grand voyageur, cavalier,
manadier, cinéaste, etc. – aborde l’écologie et la menace pesant sur la forêt amazonienne, la confrontation entre les besoins productifs du Brésil et le respect de sa terre.
La Nuit du Sagittaire – composé de scènes courtes, comme des impressions de voyage – brosse quant à lui un portrait de la culture espagnole, de son culte des chevaux et de la tauromachie (D. C. de Daunant a lui même torréé).