GSK Contemporary: Earth – Art of a changing world
Jusqu’au 31 janvier 2010
Royal Academy of Arts, 6 Burlington Gardens, £7
Le hasard fait parfois bien les choses. Alors que j’avais prévu une journée londonienne 100% marche et shopping en bonne compagnie, je reçois une invitation pour la présentation presse d’une exposition à la Royal Academy of Arts. Cela ne se refuse pas (merci de ta compréhension Calimero!). Surtout lorsque le thème fait résonner ma fibre artistique et écologique. L’expositon « Earth » est en effet tout entière dédiée à créer du lien entre art et changement climatique. Un détour que je ne regrette pas.
Sponsorisée par le leader pharmaceutique GlaxoSmithKline, qui a vendu à la France tant de vaccins contre la grippe A et dont nous saurons a posteriori si nous devons le bénir ou lui jetter l’opprobre, « Earth » présente trente-cinq artistes internationaux engagés contre le réchauffement climatique.
L’exposition se décompose en quatre parties, bien articulées et « marketées ». Nous sommes au coeur de Londres, pas au Louvre (!)
(I) L’essence de notre planète montrée sous un angle inattendu.
Antony Gormley (membre de la Royal Acamedy) remplit une salle d’un champ d’hommes en argile – matière la plus proche de la terre, selon lui -, dans une oeuvre intitulée Amazonian Field (1992). « Je voulais réaliser un travail qui lie les hommes à la terre. Une oeuvre qui pose la question de notre avenir collectif et de notre responsabilité envers le futur », commente l’artiste. Les personnages – l’art – nous regarde et nous pose dans la position inconfortable de répondre à la matière même qui les a créés.
Dans la salle suivante, même sentiment de gêne devant les fleurs, en argile chinoise non cuite, de Clare Twomey, Specimen (2009). Les fleurs, de taille et de forme réelle, sont éparpillées sur la cheminée et le sol, imposant au visiteur de leur marcher dessus. Acte de concrétisation de la destruction quotidienne que l’homme impose à la nature.
Sur le balcon, (Heather) Ackroyd & (Dan) Harvey ont planté des glands récupérés de la forêt des 7.000 chênes plantés par J. Beuys en 1982 à Kassel. Les plants devront résister à l’hiver et offre une vision végétale sur le béton de la ville. A l’image des futures villes qui devront incorporer plus de vert dans leur urbanisme pour lutter contre la pollution.
Ces mêmes artistes, spécialisés dans l’architecture, l’écologie et la photographie, ont utilisé un os d’ours polaire, trouvé lors d’un voyage en Arctique, dans le cadre du projet Cape Farewell, dont ils ont extrait du carbone à partir des cendres de l’os incinéré. Soumis à une pression et une chaleur intenses, le carbone a produit un diamant. Normalement, ce procédé met des millions d’années à donner un tel résultat. Pour accélérer le processus, les artistes ont utilisé un système scientifique complexe. Leur objectif est de nous confronter au sens de nos valeurs et de perte. Quel prix sommes-nous prêts à payer – financièrement et écologiquement – pour obtenir du carbone, i.e. un Polar Diamond (2009)?
(II) Notre perception de la réalité.
Chris Jordan se penche sur la société de consommation américaine avec Paper Bags (2007). Son oeuvre représente les 1,14 millions de sacs en papier marrons utilisés chaque heure par les Américains dans les supermarchés… Pour autant, l’artiste ne vise pas à critiquer une mauvaise habitude humaine mais un système dans lequel l’individu est de plus en plus perdu, dépassé.
Anti Laitinen se met en tête de créer sa propre île au large de la mer Baltique. Il brave l’eau gelée en simple maillot de bain, pendant trois mois, pour construire pierre à pierre un îlot sur lequel se dresse un arbre qu’il a coincé dans son pot entre les rochers. Jouant sur la futilité de son entreprise qu’il souligne par des photographies idéalisées, l’artiste finlandais questionne notre désir d’instituer nos propres paradis.
Edward Burtynsky présente également un travail à deux niveaux avec Alberta Oil Sands, # 6, Fort McMurray (2007) en photographiant une nature à la fois esthétique et laide, liée à l’impact dévastateur de l’intervention humaine sur les champs pétrolifères. Manufacturing # 17, Deda Chicken Processing Plant représente une usine de poulets. Au-delà de la répulsion (en tout cas pour moi!) que peut apporter l’image de morceaux de poulets morts, l’artiste met en avant le labeur humain requis par la production alimentaire.
(III) L’artiste en tant qu’explorateur.
Shiro Takatani présente un morceau de glace de 2.503 m. de profondeur issu du Dôme Fuji en Antarticque. La neige, transformée en glace, constitue une formidable archive informationnelle sur l’histoire de la planète. En examinant les bulles d’air capturées par la glace, les scientifiques peuvent en tirer des informations sur la température et le niveau de dioxyde de carbone de l’atmosphère depuis 800.000 ans. En travaillant directement avec les scientifiques, S. Takatani mêle science et art.
De même, Marcos Lutyens et Alessandro Marianantoni ont imaginé CO2 morrow (2009), installé sur la façade du numéro 6 Burlington Gardens. L’oeuvre, de la forme d’une molécule de zeolite censée éliminée le dioxyde de carbone des sources polluantes, s’illumine grâce à des lampes LED en fonction de la variation des données de CO2, mesurées par l’Ecole des Sciences Environnementale d’East Anglia.
Dans le même esprit, Ruth Jarman et Joe Gerhardt ont imaginé Black Rain (2009) à partir des données enregistrées par la NASA de satellites qui traquent les vents solaires interplanétaires et les projections des masses qui se dirigent vers la terre.
Sophie Calle introduit un peu d’humour dans ce tableau noir de l’humanité. L’artiste réalise a titre posthume un voeu de sa mère. L’un d’entre eux était de se rendre au Pôle Nord. L’artiste rejoint l’expédition Cape Farewell en 2008 pour atteindre le Groënland où elle enterre un collier de perles Chanel et une magnifique bague en diamant (dont la petite histoire raconte que son père l’avait obtenue contre la cessation d’un immeuble à Grenoble pendant la guerre, ce pourquoi sa femme lui en voulut et ne lui parla pas pendant un an) sous le monticule de pierres d’un glacier. Par cet acte, S. Calle transporte des attributs de sa mère là où elle le souhaitait. Mais elle s’amuse également à donner du fil à retordre aux futurs scientifiques qui pourraient se demander comment ces bijoux ont fait leur apparition dans la culture Inuit!
Retour à l’Enfer que l’homme fait subir à la Nature. Dans une section sur la destruction, Cornelia Parker réalise avec Heart of Darkness (2004) – titre d’une nouvelle de J. Conrad qui a inspiré Apocalypse Now – une pluie de morceaux de bois consumés issus des feux forestiers en Floride. « Ce feu de forêt est une métaphore des conséquences désastreuses de la politique du bricolage. Des irrégularités de votes lors des élections [celles de Bush, en 2004] à la déforestation des forêts tropicales pour fabriquer des bio-carburants et alimenter les Hummers [gros 4×4] », commente l’artiste.
Quant à Tue Greenfort, il dénonce le réchauffement climatique en faisant prendre conscience au visiteur que les conséquences se font déjà sentir. Ses Medusa Swarm (2009) traduisent artistiquement l’invasion de méduses roses Pelagia noctiluca dans les eaux européennes. Leur augmentation résulte du fait que la température de l’eau, plus chaude, convient parfaitement à leur reproduction mais éloigne aussi ses prédateurs naturels.
(IV) Nouvelle vision du monde qui découle de la donne climatique.
Pour la première fois depuis la mission Apollon 8 (décembre 1968), qui avait permis à l’Homme d’observer son habitat depuis la Lune, nous devons révaluer nos valeurs du passé afin de préserver notre planète. Prendre conscience de sa fragilité, c’est être responsable de nos actes du présent envers les générations futures.
Yao Lu, récemment vu à Paris Photo 2009, expose à nouveau Spring in the City (2009). L’artiste photographie des collines polluées, recouvertes de filets verts pour empêcher les déchets de rejoindre la mer. Ensuite il manipule numériquement ses images pour faire ressembler ses paysages à ceux, bucoliques, des peintures traditionnelles chinoises.
Dans la même veine, Mariele Neudecker s’inspire des paysages romantiques du XIXe siècle, notamment Caspar David Friedrich, pour fabriquer des boules de verre (comme celles que l’on retourne pour faire tomber de la neige) avec en décor un bloc de glace immergé – paysage typique des Pôles. Cette création figée, telle une oeuvre de musée, contredit la réalité qui évolue doucement mais inévitablement avec la fonte des neiges. Le titre de l’oeuvre, 400 Thousand Generations (2009), évoque le nombre d’années qu’il a fallut à des cellules photosensibles pour devenir un oeil humain.
L’ensemble des oeuvres m’ont paru percutantes car elles traduisent de manière originale, artistique, une réalité scientifique que nous ne pouvons plus nier.
Seul manque à l’appel le volet social. Or, qui dit réchauffement climatique, dit problème d’eau et lutte pour les matières premières… Mais peut-être aurait-ce été trop noircir le tableau?
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