Brèves enfances de Sylvie Bourgeois
Editions Au Diable Vauvert, 2009, 17€
Reflet d’un univers d’autant plus impitoyable que les mots sont enfantins. Sylvie Bourgeois, co-scénariste (avec son mari Philippe Harel) des Randonneurs à Saint Tropez, livre avec Brèves enfances une série de nouvelles bouleversantes. Sous la plume d’enfants âgés entre cinq et dix ans, elle décrit de manière sobre, sous un faux ton enjoué, le pire: viol, abandon, cruauté d’une fratrie plus âgée, mal être de l’adolescence… Entre rire et larmes, Brèves enfances touche là où ça fait mal.
Ces enfants matures révèlent un monde décomposé, celui de parents tellement perdus dans leurs propres malheurs ou trop gâtés pour avoir envie de s’occuper de l’éducation des fruits de leurs entrailles. S’inspirant de l’univers cinématographique qu’elle fréquente, Sylvie Bourgeois dénonce in fine le revers de la vie de paillettes. Et ceux qui se raccrochent aux miettes du septième art (Moteur!, Daniel, Henri). Mais pas seulement.
Chacune des histoires révèle un univers drôle qui finit par couvrir une bonne partie des couches de la société. Du curé à la délinquante, de l’architecte au directeur d’une usine de montres, du boulanger au champion de ski.
L’auteur renvoie l’image d’un monde déboussolant qu’il soit celui d’adultes irresponsables qui refusent de vieillir ou celui d’enfants qui n’ont plus le temps d’en être.
Sylvie Bourgeois évoque également le monde du silence qui entoure ces pré-ado, trop petits pour savoir que ce qu’on leur fait s’appelle du viol mais suffisamment grands pour se douter que ce n’est pas complètement normal.
Pourtant, elle confère à ses protagonistes une immense réserve d’amour et de pardon.
« La terre a vacillé. Mon ventre s’est fracassé. Un verre s’est cassé. Ma lèvre a saigné. J’ai passé ma langue sur le trou de ma dent en moins. Si mon chien avait été là, il l’aurait mordu. Mais il était attaché dehors. Le pauvre. Il devait avoir froid. Et peur aussi. Même s’il a les yeux pour voir la nuit. Au Japon, il paraît qu’il y a tellement de pollution que les hommes doivent mettre des masques à gaz pour respirer. Demain, je me coudrai les jambes pour ne plus être tâchée. En Chine, ils font ça avec les petites filles, ils leur cousent les pieds. Comme ça, elles ne peuvent plus marcher et elles restent à la maison.[…] Ma maman, je l’aime alors je me tais. Ca lui ferait trop de peine si elle savait. » (p.109).
Le ton des premières nouvelles est un peu plus léger.
« Quelle drôle d’idée il a eue mon très saint père d’avoir fait voeu de chasteté. Du coup, ma mère vit dans le péché. Je crois que j’aurais préféré encore qu’elle couche avec le père Noël qui n’existe pas. Cela m’aurait posé moins de problèmes existentiels. Parce que la chrétienté de mon Père éternel; faut pas croire, mais elle m’est difficile à gérer. Je dois prier à genoux, adorer le miserere, réciter le bénédicité. Confiteor Pater Ave Maria et tout ça! Je n’ai pas encore dix ans et Amen pour moi c’est vraiment de l’hébreu. » (p.11).
S. Bourgeois parvient à transcrire la confusion des pensées des enfants qui apprivoisent à leur manière les informations filtrées du monde adulte. Parfois, la répétition des tournures (« j’vous jure! », l’emploi récurrent de l’adverbe « trop ») voire des maux infligés aux protagonistes lasse un tantinet. Mais, globalement, ce recueil de nouvelles est percutant, émouvant, désespérant! On se prend une bonne claque et on a envie de refaire le monde…