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Les fouilles sous-marines de l’IEASM: une formidable machine humaine à remonter le temps

Trésors engloutis d’Egypte

9 décembre 2006 – 16 mars 2007

Nef du Grand Palais, Avenue Winston Churchill 75008, Rens.: 0 892 701 892

L’Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine (IEASM), sous la direction de Franck Goddio, présente au Grand Palais un aperçu du résultat de six ans de fouilles sous le Nil. Leurs découvertes incroyables font nécessairement rêver. De par ces temps anciens – 15 siècles d’histoire! – qu’elles font revivre sous nos yeux. Mais également par la majestuosité des 500 pièces cachées sous les sédiments, remontées à flots, nettoyées, et transportées en avion spécial (le « Beluga » d’Airbus) à Berlin – où l’exposition était présentée précédemment – et maintenant à Paris. Un sacré voyage…

Rappel chronologique: l’Egypte, une terre cosmopolite

Les contacts entre l’Egypte et la Grèce remontent au VIIIè siècle avant J.-C..
Une communauté grecque s’implante à Naucratis et à Thônis-Héracléion, sur le bras occidental du Nil.
Alexandre le Grand fonde Alexandrie en 331 av. J.-C., ce qui favorise l’essor grec sur les terres égyptiennes. D’où l’appellation de cette période: Egypte hellénistique ou Egypte ptolémaïque ou encore Egypte lagide du nom de la dynastie lagide, fondée par Ptolémaios. Ce capitaine macédonien, fils de Lagos, est nommé gouverneur d’Egypte à la mort d’Alexandre le Grand. Lorsqu’il devient roi d’Egypte, il prend le nom de Ptolémée Ier Sôtêr.
La dynastie ptolémaïque, caractérisée par le syncrétisme des cultures, dure jusqu’en -30 avant J.-C. – date de la conquête de l’Egypte par l’empereur romain Octave Auguste – à la suite des alliances conclues par Cléopâtre VII avec Jules César, puis Marc Antoine.
Si la période hellénistique s’est avérée riche en échanges commerciaux mais aussi culturels, la colonisation romaine est marquée par une occupation militaire et une exploitation appauvrissante pour les Egyptiens. En particulier, l’empereur Caracalla, réprima durement les Alexandrins qui osaient se moquer de ses prétentions.
L’avènement de Dioclétien, en 284, marque le début de la période byzantine. Des provinces administratives sont créés en parallèle aux territoires délimités par les diocèses chrétiens.
L’arrivée des conquérants arabes au VIIè siècle est perçue comme une délivrance.
Un siècle plus tard, des phénomènes naturels – affaissement progressif des terrains argileux, par l’érosion de la mer et sous le poids des monuments – se conjugent à des catastrophes – séismes et raz-de-marées – et entraînent la submersion définitive de la partie orientale de la côte méditerranéenne.

Scénographie

L’exposition se découpe en trois parties, correspondant aux trois sites de villes submergées dans la seconde moitié du VIIIè siècle – Canope Est, Thônis-Héracléion, Portus Magnus(Grand Port) d’Alexandrie.
Dans chacun de ces sites se distinguent des pièces clés, qui sont l’occasion de développer un thème sur la vie des Egyptiens d’il y a 2.000 ans.
Ainsi, autour du Naos des Décades, le visiteur s’informe sur les représentations du pouvoir et des religions au temps de l’époque ptolémaïque (1).
Le clou de l’exposition réside sûrement dans la présentation de trois statues gigantesques, représentant un roi et une reine ptolémaïques (-305/-30 av. J.-C.) incarnée en Isis, aux côtés de Hâpy – dieu des crues du Nil et symbole de la fécondité – découverts à l’emplacement d’Héracléion (2).
Le Grand Port d’Alexandrie est reconstitué immergé, avec des images de fonds marins sur les murs, reliés au plafond par un voile noir – la surface de la mer (3).

(1) Les trésors de Canope Est

Le Naos des Décades, réalisé sous le règne de Nectanebo Ier (-380/-362) était dédié à Shou, dieu de l’air et de l’atmosphère. Les inscriptions extérieures reproduisent un calendrier égyptien divisé en tranches de dix jours – les décades. Elles représentent le plus ancien calendrier égyptien connu, à vocation astrologique. Ce Naos a probablement été mis en pièces par les Chrétiens, qui détruisaient les temples pour les remplacer par des monastères, tout en leur conférant les mêmes vertus « magiques ». Tel le monastère de Metanoia qui a remplacé en 391 le temple Serapeum – du nom du dieu Sérapis (dieu des morts).
La base et le dos du Naos des Décades ont été découverts lors de fouilles menées par le prince Omar Toussoun, dans la baie d’Aboukir (années 1940). Or, il s’avérait que le toit d’un certain Naos, découvert en 1776, était conservé au Louvre. Les quatre nouveaux fragments remontés à la surface par l’IEASM ont fini de reconstituer le puzzle!

(2) Héracléion grec = Thônis égyptien

La découverte de la stèle en granit noir de Nectanebo Ier (-380/-343) a permis de résoudre un mystère historique vieux de 200 ans, en confirmant l’identité commune entre la cité d’Héracléion et de Thônis. Cette stèle commémore la décision du pharaon de prélever une dîme sur les marchandises grecques transitant par Thônis, en faveur d’un temple situé à Naucratis – ville située un peu plus au sud dont l’essor a amorcé le déclin économique de sa rivale, Héracléion.

Trois statues colossales d’un couple royal et du dieu Hâpy font face à une multitude d’amulettes, simpulum – louches qui servaient à puiser l’eau du Nil ou du vin à l’occasion des fêtes d’Osiris -, pots en albâtre, chaudrons, plats à offrandes, brûle-parfums, etc., témoignant de la ferveur religieuses des égyptiens. Et au-delà, du commerce que cette activité sacrée générait…

(3) Les ports d’Alexandrie

Alexandrie jouait le rôle de plaque tournante entre d’une part la Méditerranée, d’autre part la mer Rouge et l’océan Indien. La ville disposait donc de deux ports, séparés dans la rade par une digue – heptastade (longue de sept stades) – créée sous Ptomélée II (-284/-246) pour relier Alexandrie à l’île de Pharos.
A l’ouest de la rade, le port de l’Eunostos relie le Nil et dessert le pays intérieur, ainsi que la mer Rouge.
A l’est, le Grand Port, immortalisé par son célèbre phare construit sur un îlot à la pointe de Pharos, abrite les bassins royaux et militaires, des entrepôts, et des bassins de commerce.
Quatorze années de prospections électroniques et de fouilles archéologiques sous-marines ont été nécessaires pour reconstituer les contours du Portus Magnus, et les emplacements des principaux monuments. Ce travail de longue haleine nous est ici présenté dans son contexte (presque) original – sous les grandes eaux.

Au final, nos attentes sont-elles comblées face à une exposition très médiatisée?
On ne peut qu’être impressionné par ces découvertes de deux-mille ans d’âge. D’autant plus que la civilisation égyptienne antique suscite un engouement magique et populaire jamais désavoué. Tous les trésors présentés ici proviennent d’Egypte, et malgré la température glaciale du Grand Palais, une part d’exotisme – lié à une terre et un temps lointains – se dégage.
Mais pour mieux apprécier la scénographie imaginée par Philippe Délis, je suggère fortement de voir cette exposition à la nuit tombée. En effet, l’idée étant de susciter les émotions telles que l’équipe de l’IEASM les a ressenties en découvrant ces merveilles, il faut se plonger dans une ambiance nocturne. Lorsque les panneaux explicatifs s’illuminent et que la noirceur de l’obscurité – assimilable au fond marin – perce par la nef.
Alors que, de jour, l’effet se perd inexorablement. Seul subsiste la petite musique d’ambiance.
Quoi qu’il en soit, il faut rendre ici hommage à Franck Goddio, ancien ingénieur qui a quitté son métier à 40 ans. Pour nous offrir le résultat d’une aventure humaine, historique et scientifique guidée par la passion. Un engagement définitivement incritiquable!

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