Le voyage pour horizon

Artiste invité : Barthélémy Toguo

Jusqu’au 07 septembre 2025

Le musée de la BnF, Site Richelieu-Galerie Mazarin, 5 rue Vivienne, Paris 2e

Depuis son ouverture en 2022, le musée de la BnF adopte une nouvelle thématique à chaque rentrée. Cette année, il propose un voyage à travers les continents avec « Le monde pour horizon ». En contrepoint des artéfacts conservés par le musée, l’artiste camerounais Barthélémy Toguo expose des oeuvres qui interrogent l’identité contemporaine aujourd’hui globalisée.


Barthélémy Toguo, Bilongue 2, 2020 © Barthélémy Toguo. Courtesy Bandjoun Station et Galerie Lelong & Co © Adagp, Paris, 2024

Le musée de la BnF se divise en deux parties : les salles présentant la collection permanente et celles dont les oeuvres sont renouvelées tous les trois mois environ en raison de leur fragilité (galerie Mazarin). Toutes présentent aujourd’hui les collections extra-européennes conservées par la BnF et mettent en avant les échanges intellectuels, artistiques, scientifiques et diplomatiques entre la France et le reste du monde.

Vue d’une partie de l’installation A Book is my Hope de Barthélémy Toguo, artistie invité au musée de la BnF, Paris, 2024 © D.R.

En préambule de la visite, une oeuvre de Barthélémy Toguo est suspendue au-dessus de l’escalier d’honneur, A Book is my Hope (2018), une installation monumentale ici réduite à des « regardeurs » suspendus en l’air, affolés de la chute de livres. Ce fut la réponse de l’artiste à la destruction des manuscrits de Tombouctou (copies de textes ouest-africains et arabes datant du Moyen-Age, réalisées entre les XVIIe et XVIIIe siècles) par les djihadistes au Mali en 2012. L’oeuvre, véritable cri contre l’obscurantisme à l’encontre des livres, vecteurs de connaissances, est montrée pour la première fois en France.

Le parcours débute avec la présentation de techniques d’imprimerie en Asie (Chine, Japon, Corée), à la fin du VIIe siècle, grâce à des matrices en bois comme ce cube gravé trouvé près de Koutcha, en Chine, figurant le bodhisattva Maitreya nimbé, assis sur un lotus, effectuant le geste de l’apaisement avec ses mains. En Occident, il faut attendre 1492 et les caractères mobiles en plomb de Gutenberg pour voir se diffuser les livres, en premier lieu desquels la Bible.

Des échanges de matériaux et techniques entre Orient et Occident se manifestent dès les époques mérovingiennes et carolingiennes (milieu du Ve siècle à 987) comme l’usage du rouge de carthame dilué, un pigment courant en Orient et en Chine, non documenté en Europe, que l’on retrouve dans les illustrations des Évangiles d’Echternach (Irlande ou Northumbrie, vers 700).

Les liens entre l’Occident et le Proche-Orient, notamment l’Empire Ottoman, sont illustrés par un groupe de lettres envoyées par le sultan Soliman Ier, dit le Magnifique, à François Ier entre 1525 et 1543. La lettre évoque les difficultés du Sultan avec les Persans et la guerre qu’il mène contre Shah Tahmasp. Elle est ornée au centre de la signature impériale du sultan, la toghra, peinte en bleu et or.

Parmi les autres merveilles exposées s’intercalent de grandes peintures verticales de B. Toguo, intitulées Les Bardes (2024), druides tout à la fois guérisseurs et poètes, portant de longs vêtements verts ou rouges. Ils jouent ici le rôle de gardiens sacrés de la mémoire collective et semblent veiller sur les pièces de monnaie antiques et les vases grecs.

Dans la salle des monnaies et médailles, l’artiste présente des médaillons à l’effigie des leaders politiques et intellectuels ayant contribué à l’indépendance des pays africains et à la lutte des Noirs pour leurs droits civiques. Plus surprenant, deux vases en porcelaine aux motifs d’oiseaux et abeilles, sont surmontés de l’autoportrait sculpté de Barthélémy Toguo, et placés au-dessus de médaillers. Leurs motifs symbolisent leur contenu – graines et pollens – indispensables à la vie et au partage des ressources.

Dans le salon Louis XV, deux énormes vases font écho à deux pagodes fabriquées à Jingdezhen (Chine), près de 250 ans avant que l’artiste ne s’y rende pour apprendre l’art de la porcelaine. Devant trône le livre monumental de l’installation A Book is my Hope, Éclosions mémorielles, recueil illustré d’aquarelles et dessins, de textes d’intellectuels spécialisés sur l’Afrique et sa position dans le monde.
Les pagodes, nouvellement instaurées dans le parcours des collections permanentes, illustrent l’engouement des Occidentaux pour l’art décoratif chinois au XVIIIe siècle.


Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Divan japonais, 75 rue des Martyrs : Ed. Fournier directeur. Paris, 1893 © BnF, département des Estampes et photographie

Vient ensuite l’attirance pour tout ce qui vient du Japon au XIXe siècle. La simplification des formes, les aplats de couleurs cernés de noir, les vues sans perspective, les cadrages décalés ou tronqués, se retrouvent dans les oeuvres des avant-gardistes comme Henri de Toulouse-Lautrec, Van Gogh, etc. La sculpture africaine, avec l’importance de ses masques, inspire quant à elle le célèbre Picasso ou, moins connu, l’Anglais Edward Gordon Craig, qui leur accorde une place centrale dans ses théories théâtrales.

Papiers de Jean-François Champollion Le Jeune (1790-1832). Notes de voyages en Égypte et Nubie © BnF, département des Manuscrits

Le début du XIXe siècle est marqué par l’égyptomanie suite au déchiffrage de l’écriture hiéroglyphe par Jean-François Champollion en 1822. On trouve dans cette section des pierres superbement gravées et une statuette d’Isis allaitant Horus (aujourd’hui disparu), offerte au roi Louis XV par le comte de Caylus.


Eugène Delacroix (1798-1863), Le Diable amoureux, 1840 © BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra

Parallèlement, la colonisation du Magreb au XIXe siècle entraîne une fascination pour les paysages, sujets et moeurs d’un Orient fantasmé, chez les artistes au premier rang duquel s’illustre Eugène Delacroix.


Barthélémy Toguo, Fonctionnaire gentil. Carte de séjour. BnF, Estampes et photographie © Barthélémy Toguo © Adagp, Paris, 2024

La galerie Mazarin accueille une installation de Barthélémy Toguo, composée de bustes en bois de zingana (aspect brun clair veiné de brun foncé) présent dans tout le Cameroun (Bilongue, 2020). Ces bustes d’habitants du quartier défavorisé Bilongue à Douala (capitale économique du Cameroun) servent aussi de matrices d’estampes. Toguo a également réalisé des tampons-bustes, comme ceux utilisés dans les préfectures, mais grandeur nature, pour interroger l’humanité des politiques anti-migratoires. Et des portraits à l’aquarelle et à l’encre de ces habitants anonymes, dont le centre du visage est recouvert d’une carte postale, reproduisant des photographies de l’époque coloniale, dénichée aux Puces.

La mise en regard entre les oeuvres anciennes et celles de l’artiste invité est d’une grande justesse. Passé et présent entrent en résonance pour proposer un dialogue fécond, visuellement sublime.

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