Exposition permanente + « Dali & la mode » (jusqu’au 31 décembre 2007)
Espace Dali, 11 rue Poulbot 75018, 01 42 64 40 10, 10€
« Fantasmagorique »! Telle est l’impression qui se dégage de l’Espace Dali – le seul musée en France consacré au maître du surréalisme, situé en contrebas de la place du Tertre, à Montmartre. Un lieu hors du temps et coloré qui sied on ne peut mieux à l’oeuvre théâtrale de ce showman à l’imagination foisonnante.
Salvador Felipe Jacinto Dali naît en 1904 à Figueras, au nord de la Catalogne. Sa région natale conservera une place d’importance dans l’oeuvre et la vie du futur artiste, qui manifeste très jeune un goût prononcé pour l’art figuratif. Dali dira: « Les deux choses les plus heureuses qui puissent arriver à un peintre contemporain sont: primo, être espagnol, et secundo, s’appeler Dali. Elles me sont arrivées toutes les deux » (in Les cocus du veil art moderne, Journal d’un génie).
Traumatisé par l’amour surprotecteur de ses parents ayant perdu un premier fils déjà prénommé Salvador, Dali ne cessera de prouver tout au long de sa vie qu’il n’est pas « le frère mort, mais le vivant ». L’enfant développe un tempérament instable et un égo démesuré (« Il y a des jours où je pense que je vais mourir d’une overdose d’autosatisfaction ») qui tente vainement de cacher cette blessure secrète.
Dali étudie la sculpture, le dessin et la peinture à l’Institut San Fernando, l’Ecole des Beaux-Arts de Madrid. Mais il y est rapidement expulsé pour « incitation à la rébellion des élèves de l’Ecole ». Car l’étudiant ne cesse de contester l’aptitude de ses professeurs…
Dali s’expatrie alors à Paris, où il rencontre Picasso, Breton, Eluard, Magritte et Ernst. Il rejoint officiellement le groupe des surréalistes. Mais Dali s’éprend de la femme du poète Paul Eluard, Elena (Gala), qui devient sa muse (cf. La Vénus spatiale). Et en 1939 il est définitivement exclu du mouvement. Ce à quoi il réplique: « La jalousie des autres peintres a toujours été le thermomètre de mon succès »!
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Dali et Gala se réfugient aux Etats-Unis. L’artiste fait sensation avec ses Montres molles ou « la persistance de la mémoire« , qui sont une ironie sur l’illusion humaine de fixer l’heure. La notion de temps, bien que rigoureusement scientifique, peut être perçue de manière différente selon les individus, et est donc relative, subjective. Ses montres faisant sensation auprès des Américains, le musée d’Art Moderne de New York offre à Dali sa première rétrospective en 1941. Un an plus tard, l’artiste publie son autobiographie, La vie secrète.
L’art de Dali touche autant à la peinture, la sculpture – dont l’Espace Dali dispose de la plus grande collection en France -, mais aussi les décors de théâtre, les costumes d’opéras. Il tourne des films (Un chien andalou avec Luis Bunuel, 1929; L’Age d’or, 1930), crée des bijoux, des meubles.
Le musée expose ainsi plus de 300 oeuvres daliniennes. Parmi elles sont disséminées des mannequins recouverts de robes rendant hommage au maître, créées par de célèbres couturiers tels Sonia Rykiel, Paul Smith, Ted Lapidus, Catherine Walker, Zandra Rhodes, etc., et qui font l’objet de l’exposition-événement « Dali & la mode ».
Entre 1950 et 1960, Dali entre dans sa période classique et mystique. Il rencontre le Pape et peint de nombreux tableaux mystiques (cf. La Cène, 1955). En août 1958, il épouse Gala en Espagne.
En 1964, Dali lance Le mythe tragique de l’Angélus de Millet, qui est une interprétation de sa théorie sur la paranoïa-critique – méthode qui consiste à voir plus d’objets que dans la réalité. Dali prétend en effet que Millet a caché devant le couple de paysans un objet caché. Parallèlement, il commence à affirmer le rôle essentiel de la gare de Perpignan dans la constitution de l’univers. Bien que ces idées puissent paraître tarabiscotées, Dali assurait ne pas être fou!
A partir des années 1970, Salvador Dali s’intéresse à l’art optique. Grâce aux recherches du cybernéticien américain Leon D. Harmon, il réalise des images doubles dans ses peintures (cf. Gala regardant la méditerranée, qui à vingt mètres se transforme en portrait d’Abraham Lincoln, 1974/75).
Un peu plus tard, il étudie les travaux de René Thom et la « théorie mathématique des catastrophes ». Dali réalise des peintures « hyper-stéréoscopiques », c’est à dire qu’il peint une image pour chaque oeil (cf. Dali de dos peignant Gala de dos, éternisée par six cornées visuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs, 1972/73).
En 1979, le Centre Pompidou à Paris propose enfin une grande rétrospective sur l’oeuvre de l’artiste.
Dali meurt dix ans plus tard, dans ses appartements proche du Téatro-Muséo Dali (ouvert en 1974), à Figueras.
Le musée met en valeur les multiples facettes de l’oeuvre de Dali. J’ai particulièrement apprécié la présentation des sculptures qui synthétisent les divers symboles de l’art dalinien: le pain (en nature à son époque, aspect dur s’opposant au mou des montres), les montres molles, l’oeuf (emblème de pureté, de la résurrection du Christ, son aspect évoque la minéralité, la vie intra-utérine, et la renaissance), les tiroirs (souvent incorporés au corps humain, incarnent l’inconscient et renvoient à la « pensée à tiroirs » développée par Freud), l’éléphant (portant l’obélisque – symbole du pouvoir et de la domination -, ce qui contraste avec les frêles pattes de l’animal, afin d’évoquer l’apesanteur), l’escargot (associé à la tête de Freud, opposition de la coquille dure au mou de son corps, géométrie parfaite de ses courbes), les anges (permettent de communiquer avec Dieu et réalisent l’union mystique chère au peintre). Ainsi que le mobilier, notamment le célèbre Mae West Lips Sofa, au tissu « rose shocking » créé par Elsa Schiaparelli. Parti d’une photographie « réelle » de l’actrice américaine, Dali réalise des éléments de mobilier à partir de chaque élément de son visage. Inversant en cela sa méthode paranoïaque habituelle.
Enfin, ne manquez pas les extraits d’interview, aux questions et réponses interverties, accrochés le long de l’escalier de sortie, qui apportent tout son crédit au moto de Dali: « Un artiste n’est pas celui qui est inspiré mais celui qui permet d’inspirer ».