Jusqu’au 11 février 2008
Centre Pompidou, Galerie 1, Niveau 6, Place Georges Pompidou 75004, 01 44 78 12 33, 10€
Le Centre Pompidou propose en collaboration avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti une exposition – à la limite de l’installation -, reconstituant l’esprit de l’atelier de l’artiste suisse Alberto Giacometti (1901-1966). Une mise en abîme comparable à la restitution de « sa boîte cranienne ».
Les murs de l’atelier parisien d’Alberto Giacometti, situé à partir de 1926 au 46, rue Hippolyte-Maindron – cité d’artistes du quartier d’Alésia (14e arrondissement) -, sont « l’ossature dans laquelle palpite nue la création de l’artiste », explique d’emblée la commissaire de l’exposition, Véronique Wiesinger (conservatrice en chef du patrimoine et directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti).
La scénographie de l’exposition, conçue par la commissaire en collaboration avec Macief Fiszer, permet d’apprécier cette mouvance spirituelle et intérieure via la présentation des multiples facettes créatives d’Alberto Giacometti.
Plus de 600 oeuvres sont ainsi dévoilées – sculptures et peintures mais aussi dessins, objets d’art décoratif, estampes, lettres, et même fragments de murs de l’atelier de l’artiste. L’exposition présente également 190 photographies, notamment des clichés de Brassaï immortalisant les réalisations d’Alberto G.. Seul art qu’il ne pratique pas lui-même: un oeil mécanique instantané, selon lui, ne peut rendre compte de sa vision intérieure – en perpétuel mouvement – de la réalité.
Né à Borgonovo dit Stampa (petit village de la Suisse italienne, dans le canton des Grisons) d’un père peintre impressionniste renommé, Giovanni Giacometti (1868-1933), Alberto est l’aîné de quatre enfants (Diego, qui deviendra son mouleur, Ottilia, et Bruno). Une naissance placée sous le signe de l’art puisque les parrains d’Alberto et Bruno ne sont autre que les grands peintres symbolistes suisses Cuno Amiet (1868-1961) et Ferdinand Hodler (1853-1918).
En 1919, il quitte le cursus scolaire traditionnel pour entrer à l’Ecole des Beaux-Arts, puis à l’Ecole des Arts et Métiers, de Genève.
Après un voyage en Italie (Venise, Rome, Assise, Florence et Naples) de plus d’un an, A. Giacometti arrive à Paris pour étudier la sculpture, à l’Académie de la Grande Chaumière, dans la classe du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929).
Il participe au Salon des Tuileries (1925) et s’installe dans l’atelier de la rue Hippolyte-Maindron (1926). Exposant à la galerie de Jeanne Bucher, cette dernière lui fait rencontrer Jean Cocteau, les Noailles et André Masson. L’artiste entre ainsi en contact avec le milieu surréaliste qu’il intègre en 1931. Mais dont il se fait exclure en 1935. Alberto n’hésitant pas à reprendre André Breton lorsque celui-ci interprète à défaut Hegel, dont il est un lecteur attentif.
Pour autant, la renommée d’Alberto s’exporte à l’étranger. L’artiste confie aux Matisse la représentation de son oeuvre aux Etats-Unis. Le Palais de 4 heures entre dans les collections du Musée d’art moderne de New York. Il s’agit de sa première oeuvre acquise par un musée.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, A. Giacometti se réfugie auprès de sa famille en Suisse, où il rencontre l’éditeur Skira et celle qui deviendra son épouse, Annette Arm. Tous deux habiteront au 46, rue Hippolyte-Maidron à partir de 1947.
Deux ans plus tard, la Tate Gallery acquiert L’homme qui pointe. Giacometti entre ainsi dans les collections européennes.
Dès lors, les expositions monographiques et les prix se succèdent (Grand prix de la sculpture en 1962, prix Guggenheim International de peinture en 1964, Grand prix national des Arts de France en 1965). Mais, en 1966, après une courte hospitalisation pour des examens de contrôle, Alberto Giacometti meurt subitement. Il est enterré au cimetière de Stampa, tandis que sa femme repose au Père-Lachaise.
Véronique Wiesinger insiste sur l’importance de la ville de Paris pour vivre et travailler. « Il aurait pu choisir de rester définitivement en Suisse après la guerre », commente la frêle – mais intarissable sur son sujet! – commissaire.
C’est que son atelier parisien représente un véritable vivier, au centre de la vie littéraire et artistique de la capitale française. Giacometti conçoit son atelier, non pas comme une installation au sens moderne, mais comme un espace dynamique, qui offre une connection entre l’ensemble de ses oeuvres, réaménagées sans cesse. A la manière d’Hegel, Alberto perçoit le réel sous la forme d’un exercice dialectique. Les objets et les êtres de son satelier, tout comme ceux de sa chambre (attenante à l’atelier), ou du café du coin, et de manière générale, de l’univers, entretiennent des liens indissociables. Ce pourquoi vers 1948/50, il traduit cette interaction des objets par des entrelacs de peinture. « Puis, dans ses dernières années, de façon beaucoup plus poussée dans le dessin par les traits de gomme abrasive et de crayon qui relient les être et les choses en une toile d’araignée fragile » (V. Wiesinger).
Le dispositif de l’accrochage répond à cet esprit plus qu’il ne cherche à reproduire la disposition des pièces dans l’atelier à un quelconque moment donné. D’ailleurs Giacometti, contrairement à Brancusi, ne souhaitait pas que son atelier soit conservé comme tel.
La création de d’A. Giacometti semble dotée d’une vie propre. En 1933 et 1950, Alberto énonce à deux reprises qu' »il ne reconnaît la sculpture qu’une fois faite ». La plupart des sculptures et des peintures portent des traces de nicotine, des empreintes de doigt, des bouchages grossiers. Seuls un oiseau et un poisson en bas-relief sont d’un blanc immaculé. Pour le reste, l’artiste laisse sciemment visible les défauts et accidents de fabrication pour mieux représenter le flux de la vie, expliciter les aléa du temps, qui désintègre autant qu’il regénère. « Effroi et émerveillement » sont les deux adjectifs que nous retiendrons du discours de la commissaire.
Cette exposition sait mettre en exergue le raffinement des oeuvres d’Alberto Giacometti, dont la plupart échappe à toute caractérisation psychologique. Un mystère qui laisse encore perplexes les chercheurs…