Jusqu’au 11 janvier 2010
Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann 75008, 10€
Les expositions temporaires au musée Jacquemart-André tournent autour de deux pôles. L’art français du XVIIIe siècle couplé à l’art italien du XVe siècle – les deux points forts de la collection du musée – et les oeuvres des collectionneurs. Telles celles du baron von Lindenau et aujourd’hui de Samuel von Brukenthal. Après les Primitifs italiens, place à l’école du Nord.
Proche conseiller de l’Impératrice d’Autriche Marie-Thérèse (1717-1780), le baron Samuel von Brukenthal (1721-1803) a mené une longue carrière politique à la cour avant d’être nommé gouverneur de sa terre natale, la Transylvannie.
Avide collectionneur, il rassemble près de 16.000 livres précieux, 800 gravures, 1200 tableaux et un grand nombre d’objet d’art. L’Impératrice elle-même contribue à enrichir ce qui est considéré comme « l’une des plus belles et riches collections de Vienne ». Hébergée dans l’ancienne résidence du baron, devenue le Muzeul National Brukenthal, à Sibiu, en Roumanie, elle prête aujourd’hui, pour la première fois une cinquantaine de ses chefs-d’oeuvre.
L’exposition rassemble une quarantaine de tableaux de l’école flamande, une poignée d’oeuvres de l’école italienne mais aucune de l’école française (peu nombreuse dans la collection Brukenthal et de qualité moindre). Elle est organisée de manière chronologique, selon les différents genres picturaux: paysages, portraits, mythologie, scènes de genre, religion et nature morte.
La sobriété de la scénographie, signée Hubert le Gall, et des cartels d’exposition mettent d’autant en valeur la somptuosité des oeuvres présentées.
L’art du paysage se développe lentement à la fin du Moyen-Age. Il sert d’abord de simple fond à un portrait, avant de devenir un genre à part entière à la Renaissance. L’école flamande excelle en la matière grâce à son sens du détail et son goût pour le réalisme. On peut citer l’influence de Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569), représenté dans la collection, par Le Massacre des Innocents à Bethléem (vers 1586/90). Cette scène biblique insérée dans un paysage enneigé évoque la répression d’Hérode, qui ordonne la mise à mort de tous les garçons, lorsqu’il apprend des Rois Mages, la naissance du futur roi d’Israël. Mise en parallèle avec le pillage des troupes espagnoles en Flandre, la scène offre une critique déguisée du peintre contre la politique de Philippe II. Plusieurs versions de cette oeuvre de Bruegel existent. La couronne britannique détient la plus célèbre d’entre-elles mais celle de Brukenthal est considérée comme l’une des meilleures.
Autre oeuvre clé, celle de Jodocus de Momper (1564-1635) et Jan II Brueghel (1601-1678), Paysage montagneux avec un moulin. Elève de Pieter Bruegel, Momper exprime l’héritage esthétique de son maître à travers l’harmonie des couleurs (sombres au premier plan, puis nuances de vert, et enfin de bleu clair) qui contribue à l’effet de perspective.
L’art du portrait est illustré par Hans Memling (1435-1494), Portrait d’un homme lisant ou Allégorie de la Vertu (vers 1480). Il est le premier à introduire dans un portrait un paysage en arrière-plan, traité avec autant de minutie que la carnation des visages, doux et nobles, et des costumes.
Citons également Marinus van Reymerswaele (1490-1546) et son Saint-Jérôme dans son studiolo (vers 1545) ou Adriaen Thomas Key (1540/45-1589) et son Buste d’un jeune homme blond à la collerette (vers 1569).
Mais l’art du portrait dans la tradition flamande s’incarne surtout dans L’Homme au chaperon bleu (vers 1430), première oeuvre connue de Van Eyck (1390-1441). L’originalité du portrait tient dans la pose du sujet, représenté de trois-quart. Il tient dans sa main droite la bague qu’il va offrir à sa fiancée – une manière éloignée de faire sa cour, comme le veut l’époque. Le traitement de la coiffe de l’homme reflète la virtuosité de l’artiste dans son traitement des matières. Il est l’un des premiers à accorder de l’importance aux ombres, qui permettent de rendre compte des volumes. Lorsque S. von Brukenthal acquiert cette oeuvre, elle est encore attribuée à Albrecht Dürer.
Avant la Renaissance, le prestige d’une oeuvre tient à sa valeur historique ou morale. La peinture mythologique relève dès lors du « grand genre ». Elle permet d’afficher l’érudition de l’artiste par les nombreux symboles et allégories qu’il incorpore. Parmi les oeuvres de la collection Brukenthal figurent Hercule étouffant le lion de Némée (second quart du XVIIe siècle) par Pierre-Paul Rubens (1577-1640), reconnu comme le plus grand peintre de l’école flamande du XVIIe siècle.
Ou Diane et Callisto (vers 1606) de Hans Rottenhammer (1564-1625). Dans cette peinture Diane découvre que sa servante Callisto attend un enfant de Zeus. Junon, la femme de ce dernier, la transforme en ours. Zeus lui rend hommage en l’incarnant en constellation: la grande ourse. L’oeuvre fait preuve d’un esthétisme flamand – naturalisme de la végétation – et italien (composition architecturale, figures féminines sensuelles) qui rend compte des échanges culturels de l’époque entre le Nord et le Sud.
L’école italienne est représentée par une toile majeure du Titien (1485-1576), Ecce Homo (vers 1560). « Cette oeuvre marque un tournant dans l’évolution du style du Titien », explique Nicolas Sainte Fare Garnot, co-commissaire de l’exposition. De la juxtaposition des tons, il passe aux contrastes lumineux. Réputé pour ses coloris ocres et rouges, Tiziano Vecellio de son vrai nom, illustre ici un Christ, offert à la foule par Ponce Pilate, non pas humilié mais fier. Si son regard est baissé, sa tête est relevée. La force dramatique de l’oeuvre est accentuée par les couleurs chaudes, l’opposition entre la draperie rouge qui recouvre le Christ, la chair de son corps et la noirceur des épines de sa couronne dont coule un sang vermeil. Le bras du Christ est ouvert, semblant aspirer le spectateur dans l’oeuvre.
Tout aussi surprenante est La sainte Famille (vers 1625/30) de Jacob Jordaens (1593-1678). La tension de la scène découle d’un clair-obscur caravagesque, accentué par le contraste des touches de rouge, blanc, bleu, et orange. La famille réunit autour d’un simple cierge, incarne la Vierge, l’enfant Jésus et saint Jean-Baptiste tenant une croix – seul élément religieux de la composition. L’artiste ne souhaitait pas idéaliser la scène pour permettre aux plus humbles de s’identifier aux personnages. « Si Jordaens représente l’un des plus grands coloristes de la peinture flamande, il n’en est pas le plus habile », tempère Jan de Maere, co-commissaire de l’exposition. La forme des personnages n’est en effet pas aussi définie que celle d’un Rubens.
La descritpion de la vie quotidienne dans les scènes de genre devient la spécialité des artistes hollandais et flamands. Les élites se détachent des sujets religieux et historiques pour s’intéresser aux moeurs des anonymes. Les artistes comme David II Teniers (1610-1690), La Visite chez le médecin du village (vers 1660) s’attachent à représenter avec humour et tendresse les travers du quotidien (ici, le médecin analysant les urines de sa patiente).
L’exposition se clôt sur l’art de la nature morte. Les jeux de transparence, de lumière qui découpe les volumes, le réalisme des fruits, fleurs et coquillages apportent leurs lettres de noblesse à un art profane, jugé mineur, jusqu’à la Renaissance. En atteste La cuisinière flamande (vers 1610/20) de Jeremias van Winghe (1578-1645) et Georg Flegel (1566-1638). Au premier plan, une jeune femme, tournée vers le spectateur, présente une grappe de raisin – symbole de l’Eucharistie – tandis qu’un chat, rattaché à l’univers de la sorcellerie et du mal (il convoite la perdrix posée sur la table), est acculé dans l’angle droit du tableau.
La collection Brukenthal possède peu de grands portraits (contrairement aux collections royales) du fait de l’origine modeste du baron (fils d’un fonctionnaire). Sa nature économe, liée à sa pratique protestante, est compensée par l’expertise de deux conservateurs dont il a su s’entourer. Le résultat est une collection pointue qui révèle le meilleur des écoles flamandes et quelques perles italiennes. Une exposition à ne pas manquer.
une jolie exposition!
Magnifique exposition, un régal !
Bonjour,
Je ne visiterai pas l’exposition car je n’ai pas l’occasion de me rendre à Paris. Par contre, j’aimerais trouver une photographie de La cuisinière flamande après restauration sur le web pour apprécier la scène du repas d’Ammaüs.
Cordialement,
Pascal
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