Jusqu’au 13 janvier 2008
Musée d’Art moderne de la ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson 75116, 01 53 67 40 00, 8€
Le musée d’Art moderne de la ville de Paris propose pour la première fois en France une monographie complète de l’oeuvre d’Helena Sofia Schjerfbeck (1862-1946). Un art réaliste qui échappe au romantisme national ambiant et, de ce fait, la marginalise. Le succès ne se fait pas attendre pour autant.
Née à Helsinki, Helene a pour langue maternelle le Suédois. La Finlande est en effet le théâtre de l’affrontement des influences suédoise (depuis le XIIe siècle) et russe. Le pays n’obtient son indépendance qu’en 1917, lorsque la révolution bolchévique déstabilise l’empire russe.
A quatre ans, la petite fille fait une chute dans les escaliers ; elle se fracture la hanche gauche dont elle conservera une claudication. Sa santé fragile la contraindra à finir sa vie dans un sanatorium.
Helene Schjerfbeck fait tôt preuve de prodigalité. Elle est autorisée à s’insrire à l’école de dessin de la Société finlandaise des Beaux-Arts. Elle se lie d’amitié avec la future artiste Helena Westermarck (1857-1938). Plus tard, H. S. se forme à Paris dans les rares ateliers autorisés aux femmes, tel celui dirigé par Madame Trélat de Vigny où enseigne notamment Jules Bastien-Lepage (1848-1884). Helene découvre Ernest Meissonier (1815-1891), Mariano Fortuny (1838-1874), Paul Cézanne (1839-1906), et plus tard, Paul Gauguin (1848-1903). Elle portera toujours un regard nostalgique sur ses années passées en France: « Mon idéal, mon rêve, est de peindre une fois encore dans la lumière de la France, la paix, la solitude, l’amour du travail, dans ce pays que j’aime tant depuis ma jeunesse… » (Lettre à La Revue Moderne des Arts et de la Vie, 15 novembre 1923).
Maîtrisant la technique d’inspiration naturaliste (atelier en plein air), Helene représente des paysages de Bretagne (Concarneau, Pont-Aven cf. Ombre sur le mur, La porte, Linge à sécher). Elle expose annuellement à la Société finlandaise des Beaux-Arts, et au Salon de Paris (Enterrement en Bretagne). Ses toiles, comme Garçon faisant manger sa petite soeur (première toile de l’exposition), se distinguent par un réalisme inédit qui lui attirent de mauvaises critiques. Parallèlement, un peintre anglais qu’elle avait rencontré en Bretagne rompt leurs fiançailles. Helene détruit toutes les lettres portant son nom.
Mais la jeune femme remporte un prix national finlandais avec sa peinture d’histoire, La Mort de Wilhelm von Schwerin.
Pour le compte de la Société finlandaise des Beaux-Arts, l’artiste réalise des copies des oeuvres de Franz Hals (L’Homme au chapeau mou), Diego Velasquez (Portrait du pape Innocent X et de l’Infante Marie-Thérèse), de Gérard Terborch (Intérieur), Holbein (Portrait de John Chambers), etc., afin d’enrichir les collections des musées finlandais.
H. Schjerfbeck enseigne alternativement le dessin et la peinture à la Société des Beaux-Arts. Elle a pour élèves Verner Thomé (1878-1953), Juho Rissanen (1873-1950), Per-Ake Lauren (1879-1951), Einar Ilmoni (1880-1946) et Sigrid Schauman (1877-1979). Mais la dégradation de sa santé la contraint à démissionner en 1902. Elle s’installe avec sa mère à Hyvinkäa, une ville réputée pour son air sec. Elle se force à peindre une heure par jour. Car elle continue d’exposer auprès de la Société finlandaise des Beaux-Arts et pour les Amis de l’artisanat finlandais. Le reste du temps, Helene lit. Elle ne peut plus voyager pendant quinze ans.
H. Schjerfbeck s’intéresse à partir de 1908 aux bois gravés japonais. Elle dessine des motifs stylisés de tapisseries et de coussins d’inspiration Art nouveau.
En 1915, Helène rencontre Einar Reuter (1881-1968), à la fois garde forestier, peintre et écrivain. Il s’intéresse de près à l’oeuvre de Schjerfbeck et lui achète Le Garçon aux bûches (I). La connaissance du milieu de l’art contemporain de Reuter permet à Helene de se tenir informée. Dans leur correspondance, ils échangent leurs opinions sur l’art, la littérature, les livres d’art, et l’actualité politique (contexte de la Première Guerre mondiale). Helene s’attache à cet homme qui lui annonce ses fiançailles avec une autre jeune fille.
Cette nouvelle déception amoureuse, et le contexte difficile de la guerre, décident Helene à fuir la Finlande (1944) pour s’installer dans un hôtel thermal près de Stockholm (Saltsjöbaden) où elle peint surtout des natures mortes et des autoportraits. Elle traque sur son visage le signe de la maladie et de la mort. Une salle de l’exposition est spécialement dédiée à ces dernières peintures. Son style devient très épuré, le crâne s’efface progressivement pour ne laisser place qu’aux tracers de ses yeux enfoncés, son nez et sa bouche. Sa représentation des nature mortes fait écho à cette autoanalyse du vieillisement.
Plus de 125 peintures (dont je n’ai pu reproduire que deux oeuvres en raison des droits payants de l’ADAGP), aquarelles, dessins et documents sont présentés dans cette exposition exhaustive qui retrace le parcours d’une artiste devenue emblématique de l’art finlandais. Un art qui se caractérise à la fois par un silence éloquent et une intensité expressive. Le résultat d’une vie à surmonter les embûches – « un véritable chemin de croix » (Annabelle Görgen). Une des expositions fortes de cet automne.