Arménie, terre chrétienne dans le Caucase
20 décembre 2006 – 25 mars 2007
Crypte archéologique du parvis de Notre-Dame, Place Jean-Paul II 75004
01 55 42 50 10, entrée: 3,30€
Dans le cadre de l’Année de l’Arménie dans les musées de la Ville de Paris, la crypte archéologique du parvis de Notre-Dame présente une exposition sur le premier pays au monde à avoir adopté officiellement la religion chrétienne (IVè siècle).
En témoignent les nombreuses églises et monastères qui dominent l’architecture du pays. Telle l’Eglise Sainte-Mère-de-Dieu (Astvatzatzine) du monastère de Amaghou-Noravank, édifié par la famille Orbélian (XIIIè-XIVè siècles), qui est l’un des édifices religieux les plus connus du patrimoine arménien.
L’exposition ne se veut pas pour autant à dominante religieuse. Elle offre au contraire un panorama exhaustif sur l’Arménie d’hier et d’aujourd’hui. Pays situé au sud du Caucase, il est enfermé dans une bulle entre la Géorgie, la Turquie, l’Iran, le Nakhitcheran (territoire appartenant à l’Azerbaïdjan) et l’Azerbaïdjan.
Sans aucun accès maritime, l’Arménie a pourtant réussi à dominer le négoce entre l’Orient et l’Occident au XVIIè siècle grâce à sa production de soie brute. Une fois assise sa position commerciale, cette terre montagneuse – l’altitude moyenne est de 1800m, avec un point culminant sur le volcan de l’Ararat à 4090m – a servi de point relais entre la Chine et l’Europe pour les épices, les étoffes, les fourrures et les pierres précieuses.
Le pays dispose en effet d’un terrain géologique riche en pierreries, notamment l’obsidienne – verrre volcanique noir, gris ou veiné de brun -, le tuf ocre-rose, la turquoise surnommée « pierre du bonheur », l’améthyste – variété de quartz à dominante violet -, l’agate – autre variété de quartz, translucide -, et l’onyx dont la couleur varie entre l’ivoire et le brun.
Mais la suite de l’Histoire ne se présente guère favorable au développement économique du pays.
Entre la soviétisation, à partir des années 1920, qui a ruiné la production agricole et l’élevage – pour alimenter l’immense marché de l’URSS aux dépens du marché intérieur.
La guerre du Karabagh (1991-94) entre les Arméniens, dirigés par le héros national Monte Melkonian, et les Azéris. Ce petit territoire du Nagorno-Karabagh (4400 km2) au sein de la RSS d’Azerbaïdjan est séparé de l’Arménie par le corridor de Latchin. Il est peuplé à 95% d’Arméniens. Depuis le cessez-le-feu de 1994, l’Azerbaïdjan et la Turquie ont imposé un blocus sur l’Arménie.
Enfin,le génocide de 1915. Comment la Turquie ose-t-elle ne pas reconnaître ses massacres alors que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Talaat Pacha, aurait effrontément décrété: « Le gouvernement a décidé de détruire les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici ». Des propos complètement indécents.
Pourtant, le génocide prend acte le 24 avril 1915. A la fin de l’année, deux Arméniens sur trois de l’empire Ottoman ont été massacrés, soit au total environ 1,4 millions de morts.
La grande diaspora qui a en résulté explique qu’aujourd’hui 5,6 millions d’Arméniens – près de la moitié – vivent à l’étranger. Une peinture percutante de Paul Rebeyrolle (1983), Le Mépris, série « Le sac de Madame Tellikdjian » (collection particulière) illustre de manière sarcastique l’humiliation qu’ont connu les Arméniens en représentant un homme urinant sur le sac d’une exilée – le seul bien qui lui restait.
Cet exode a fait tarir la diversité ethnique qui composait le peuple arménien. Tatars, Yézidis – Kurdes non musulmans, dits zoroastriens (adorateurs du feu) -, Assyro-Chaldéens (Aïssores de Transcaucasie de type sémitique, chrétiens), Molokanes (= buveurs de lait) – Russes exilés par le tsar Nicolas Ier en 1841-, sont la preuve de cette multiethnicité du passé.
Aujourd’hui les Arméniens tentent de survivre dans un pays qui n’a pas systématiquement accès à l’eau courante, ni le chauffage. Tout en adoptant le code vestimenaire occidental et pour certains privilégiés le mode de consommation, comme l’atteste la photographie d’une enseigne Porsche située devant une sculpture en bronze représentant une enclume et un marteau…
Le plus célèbre des Arméniens français, Charles Aznavour affiche son optimiste dans une très belle ode affichée à l’entrée de l’exposition, « même faible, l’Arménie sait garder espoir ».
Une exposition riche en photographies qui permet de découvrir en images et textes les différents aspects géographiques, historiques, religieux et culturels de ce pays méconnu. J’ai aimé la force des propos et le regard critique des commissaires – Françoise Ardillier-Carras (professeur des Universités), Olivier Balabanian (professeur émerite), Jean-Marc Léri (directeur du musée Carnavalet) – qui osent prendre du recul et ne pas mâcher leurs mots face à une histoire brutale qui a privé le pays d’un épanouissement moderne.