Le musée du quai Branly fait sa rentrée autour de deux expositions fortes, l’une ancrée sur le passé avec l’art et la culture du royaume de Bénin (au sud de l’actuel Nigeria). L’autre, collective, est une création contemporaine, rassemblant des artistes aussi acclamés que Claire Denis, Agnès Godard, John Galliano, etc., Une exposition sensorielle autour du thème de la diaspora africaine. Ou, selon les termes de Claire Denis, sur ceux qui sont « partis du ventre de la nounou cosmique ».
PREMIERE PARTIE: 5 siècles d’art royal au Bénin
Le royaume du Bénin connaît son heure de gloire du XVe au XIXe siècle. Aujourd’hui, des cérémonies royales célèbrent encore ce passé glorieux. Car si le Nigeria a été colonisé par les Britanniques (Benin City, la capitale d’antan, tombe en 1897) et est aujourd’hui indépendant, le sud du pays dispose encore d’un roi influent, dont l’autorité se fonde sur la vénération des ancêtres royaux.
L’art royal se distingue par ses bronzes et l’ivoire, plus rarement le fer et le bois. L’exposition présente 280 objets de l’art de cour du Bénin, rarement exposé en France. Les pièces proviennent essentiellement du Museum für Völkerkunde de Vienne, de l’Ethnologisches Museum – Staatliche Museen de Berlin, et du British Museum de Londres.
A l’origine, des liens commerciaux prévalent entre l’Afrique et l’Europe. Le roi portugais Alfonso d’Aveiro est le premier à entrer à Benin City en 1486. Il y établit une route commerciale vers l’Europe pour importer du poivre et des sculptures en ivoire réalisées par des artistes de la cour. En échange, le royaume perçoit des manilles (monnaie d’échange portugaise) en bronze qui permettent d’apporter la matière première aux bronziers locaux. Le roi du Bénin peut en outre recruter des soldats portugais pour servir sous ses bannières. Si les échanges étaient équilibrés au début des relations, ils se dégradent au cours des siècles. Comme l’attestent l’iconographie des oeuvres de l’exposition incarnant les différents défis auxquels le roi du Bénin doit progressivement faire face pour maintenir son autorité politique.
La scénographie de l’exposition (David Serero) aborde deux angles: celui des Européens, qui voient dans chaque objet une oeuvre d’art, et celle des Edo (ancien nom pour Bénin City), pour qui ces même objets ont une valeur historique et leur permettent de reconstruire le passé par mnémotechnie.
Parmi ces oeuvres, on découvre une boîte en bronze qui représente l’un des bâtiments du palais royal. La structure politique du Bénin précolonial repose sur un système de dignataires héréditaires et non-hériditaires. Les sept Uzama ou « faiseurs de roi » occupent le rang le plus élevé, après les membres de la famille royale, bien sûr. Ensuite viennent quatre chefs de village qui représentent la population. Parallèlement, au sein du palais, trois grands ordres sont sous le contrôle direct de l’Oba (le roi): les Iwebo (responsables des parures et des effets personnels du roi), les Iweguae (responsables de tout le personnel du roi) et les Ibiwe (responsables de la satisfaction des besoins des femmes et des enfants du roi).
Parures, coiffes, sculptures de nains de cour, défenses d’éléphant sculptées, autels, épées de cérémonie, têtes commémorative du roi et son animal atribut – le léopard – constituent l’essentiel des oeuvres d’art réalisés par les artistes de la cour du Bénin. A partir du XVIe siècle, ces derniers confectionnent également des plaques qui marquent l’arrivée des Portugais (dès 1485). L’arrivée des Britanniques au XIXe siècle perturbe l’équilibre des forces. Les hauts fonctionnaires du royaume se font courtiser par les Anglais pour établir de nouveaux contrats commerciaux. Mais l’Oba OvonramAwen n’honore pas ces contrats. Dès lors, et ce contrairement à l’avis de ses supérieurs, le vice-consul J.R. Philips lance une expédition sur Benin City, qui se solde par une embuscade. En matière de représailles, la Couronne britannique envoie des troupes qui envahissent le Bénin. Malgré d’innombrables sacrifices humains, l’Oba, ne parvient pas à restaurer son autorité. Il est envoyé en exil à Calabar (sud est du Nigeria) où il s’éteint. Les officiers coloniaux chargés de maintenir l’ordre dans le royaume commencent à s’intéresser aux traditions artistiques du pays. C’est ainsi que les collections européennes se trouvèrent enrichies des plus beaux fleurons de l’art du Bénin.