Rouault, Matisse, Correspondances
Jusqu’au 11 février 2007
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson 75116,
01 53 67 40 00
C’est dans l’atelier de Gustave Moreau – leur professeur à l’Ecole des beaux-arts – que Georges Rouault (1871-1958) et Henri Matisse (1869-1954) développent une amitié de caractère qui se prolonge dans leur art.
Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris met en parallèle les oeuvres des deux artistes, inspirés tous deux – sur le modèle de leur « patron » Moreau – par la matière couleur.
La convergence des styles est particulièrement évidente dans Nu dans l’Atelier (vers 1899) de H. Matisse et Nu de dos (vers 1906) de G. Rouault. Dans les deux oeuvres, un modèle masculin pose nu, de dos, le genou gauche légèrement fléchi.
L’oeuvre de Matisse se distingue par la matérialisation d’un décor en arrière fond – un atelier de peinture – tandis que Rouault donne toute l’importance à son sujet-objet.
De même, Matisse prend le soin de représenter le paysage – les montagnes de Collioure – dans Pastorale (1906) tout en attirant l’oeil sur les corps dénudés de femmes, assises de manière langoureuse au centre de la toile. Alors que Rouault, dans Composition, (nus) (1906) attire l’attention sur un ensemble de nus. Seuls de larges traits rosés composent l’arrière-plan. Rouault se montre ici l’élève parfait de G. Moreau en dissociant le dessin de la couleur.
Cette représentation caricaturale du corps, aux formes accentuées et aux traits grotesques, atteint son paroxysme chez Rouault avec les Illustrations pour le Père Ubu – dont le marchand Ambroise Vollard avait racheté les droits après la mort d’Alfred Jarry (1907). Ainsi que dans la série des filles de joie – L’Ivrognesse (1905), Nu aux jarretières rouges (1906).
Pourtant, l’artiste se défend de caricaturer les hommes. Il affirme se contenter de représenter des types humains de manière objective. « J’ai le défaut (défaut peut-être…en tout cas pour moi, un abîme de souffrance…) de ne laisser jamais à personne son habit de pailleté, fût-il roi ou empereur » (G. Rouault. Sur l’art et sur la vie, Bernard Dorival ed., 1971).
La laideur devient contemplative. Fritz Vanderpyl écrivait dans Le Petit Parisien en 1920: « Le cas de Monsieur Rouault est unique, plus il fait noir autour de ses sujets, plus leur droit à l’existence universelle devient lumineux et évident. C’est le christianisme d’un peintre éclairé par l’humanisme pur ».
Car tel que le professait Gustave Moreau au sujet de son élève favori: « Vous aimez un art grave et sobre, religieux dans son essence et tout ce que vous ferez sera marqué de ce sceau ».
De fait, la peinture de G. Rouault se teinte d’une dimension spirituelle qui donne à ses sujets, les plus immoraux soient-ils, le pouvoir d’absoudre leurs péchés.
Bien que se défendant de faire de l’art sacré, Georges Rouault, réinvente l’art chrétien en y introduisant du profane. Ainsi peint-il en 1911 dans Baptême du Christ, un Christ « barbare », très humain. L’année suivante, Rouault s’attelle à Miserere, auquel il consacrera de nombreuses années. Dans ces 58 gravures, profane et sacré se rejoignent. Le chemin de croix du Christ croise celui de l’homme, incarné par divers personnages récurrents dans l’art de Rouault, en particuluier la figure triste du clown – alter ego plastique de l’artiste.
La seconde prophétie de Gustave Moreau, concernant Matisse cette fois-ci, se révèle tout aussi vraie. « Vous allez simplifier la peinture! » disait le « patron » au jeune natif de Cateau-Cambrésis.
La série de collages de papiers gouachés (1943-46) de Matisse incarnent parfaitement cette vision. Quoi de plus laconique que ces légendaires feuilles, semblables à celles des fougères, pour représenter un lagon, en souvenir du voyage de l’artiste en Océanie (1930)? Ou cette forme blanche ressemblant vaguement à un poterie grecque, avec trois rectangles sortant d’une demi-lune noire pour symboliser un avaleur de sabres!
L’exposition se termine sur les illustrations des Fleurs du Mal de C. Baudelaire, réalisées par Rouault pour Vollard en 1927 et par Matisse en 1944.
On retrouve toute la gravité de l’art du premier, chez qui le « sublime comique se confond avec le sublime tragique » (G. Apollinaire, 1914), et toute la simplification du trait et l’humour pur chez l’autre.
Plus qu’une correspondance entre les deux artistes, cette exposition rend un
véritable hommage à l’art de G. Rouault, dont l’oeuvre est plus représentée que celle de Matisse. Mais les parallèles sont indéniables, oeuvres à l’appui (les droits de reproduction étant payants, je n’ai eu l’autorisation d’illustrer qu’avec trois tableaux). En plus de la découverte d’oeuvres rarement montrées publiquement, l’exposition permet d’appréhender la profonde amitié qui reliait les artistes. Comme l’atteste un ensemble de lettres récemment
découvertes… dommage que les-dites lettres n’aient pas été exposées!
c un très bo site !