Isadora Duncan (1877-1927) – Une sculpture vivante
Jusqu’au 14 mars 2010
Musée Bourdelle, 18 rue Antoine Bourdelle 75015, 8€
Pionnière en France de la danse fondée sur le mouvement libre, Isadora Duncan (1877-1927) a largement inspiré l’avant-garde parisienne. Le musée Bourdelle rend ainsi hommage à celle que le sculpteur (1861-1929) représente sur 150 dessins après l’avoir vue dans Iphigénie en Tauride de Gluck au théâtre de la Gaîté-Lyrique. Par la suite, I. Duncan devient la muse de la plupart des oeuvres que Bourdelle consacre à la danse. L’exposition retrace la vie tumultueuse de cette femme moderne et audacieuse.
« Isadora Ducan – Une sculpture vivante » se découpe en cinq volets qui pourraient se résumer en trois thématiques.
1. La vie de cette Californienne (née à San Francisco), infatigable nomade qui a traversé l’ensemble du continent européen au fil et de ses tournées et de ses liaisons.
Du Britannique Edward Gordon Craig, dont elle a une fille Deirdre, au Russe Sergueï Essenine, en passant par le milliardaire Paris Singer, dont elle a un fils Patrick. Ses deux enfants se noieront accidentellement dans la Seine en 1913. I. Duncan finira par adopter six de ses élèves, surnommées les « Isadorables ».
Isadora prône une danse tout en ondulation qui est pour elle « le mouvement fondamental dans la nature ». « En rien la nature ne fait de sauts, et il y a entre tous les états de la vie une continuité que le danseur doit respecter dans son art, sous peine d’être un pantin hors nature et sans beauté vraie. » (Ecrits sur la danse, chapitre « La danse et la nature », p. 29, 1927).
Liée à un destin tragique, Isadora meurt à Nice, étranglée par son écharpe qui se prend dans les rayons de la roue d’une décapotable. Elle est enterrée au Père-Lachaise.
En parallèle à sa biographie, l’exposition évoque le contexte intellectuel et artistique au moment où Isadora s’installe à Paris (1900). A travers le portrait de Marguerite de Saint-Marceaux (1900) par J.-E. Blanche, qui permet à la danseuse de faire ses premiers pas dans l’élite parisienne, ou le buste d’Anne de Noailles (1906) érigé par Rodin. Figurent aussi la Princesse de Solignac (1913) peint par Blanche, Gabriel Fauré représenté par John Singer Sargent (1898) ou encore le Comte de Montesquiou mis en valeur par Giovanni Boldini (1897).
2. Les oeuvres dans lesquelles Isadora apparaît.
– Les dessins et sculptures de Bourdelle, en particulier les hauts reliefs en marbre destinés à la façade du Théâtre des Champs-Elysées (Apollon et sa Méditation; Muses accourant vers Apollon). « Toutes mes muses, au théâtre, sont des gestes saisis durant l’envol d’Isadora […] ». Comme Isadora, Bourdelle pense que l’Antiquité permet l’accès au retour à la nature que tous deux prônent, sous l’influence au-début du XXe siècle des écrits de Nietzsche (Zarathoustra).
– Puissante sculpture de Rik Wouters, La Folle Danseuse ou la Vierge Folle (vers 1912) qui réinterprète la figure mythique de la bacchante.
3. Sa fascination pour la Grèce.
Paul Poiret, à l’instar d’Isadora, vante la libération du corps et s’oppose au corset. L’artiste danse pieds nus, dans une tunique courte échancrée ou longue ceinturée à l’antique, telle la robe « Delphos », inspirée du chiton ionien (tunique en tissu léger du VIe siècle), créée par Mariano Fortuny en 1907.
Sur les photographies de son frère Raymond, I. Duncan pose en osmose avec l’Erechtéion d’Athènes (1903) et le portique du Parthénon (1920).
L’Antiquité inspire d’autres artistes de l’époque tels Alphonse Osbert (Soir antique, 1908), Henri Matisse, Maurice Denis, Auguste Rodin dont est présenté une collection d’antiques.
Si Isadora adule cette ère archéologique qui considérait la danse comme un art majeur, elle ne veut pas copier l’Antique mais en revifier l’esprit. « Ma danse n’est pas grecque », précise Isadora, « elle est moderne, elle est de moi. » (Isadora Duncan, Isadora dans la révolution). Elle en reprend les figures féminines mythiques (la nymphe, l’amazone, Iphigénie, Eurydice) auxquelles elle ajoute sa propre histoire (désir, amour sur des Valses de Brahms, maternité sur une berceuse de Chopin, deuil sur une musique de Scriabine).
Comme les danseuses solo Loïe Fuller et Ruth Saint Denis, évoquée dans l’exposition, Isadora se bat pour que ses performances acquièrent un véritable statut artistique et culturel. Les trois jeunes femmes créeront une école afin que leur enseignement soit transmis et institutionnalisé.
Le début du XXe siècle voit également la naissance des Ballets russes de Diaghilev (1907), avec en figure de proue Vaslav Nijinski. Jean-Michel Nectoux (chercheur au CNRS) compare leur style: « Là où Idadora s’inspirait du naturel et de la souplesse des mouvements dansés des vases grecs, Nijinski entendait en reproduire les poses plastiques et les animer en une succession parfaitement ordonnée. » (catalogue de l’exposition).
Bourdelle associera les danses des deux protagonistes dans le groupe La Danse (métope au-dessus des portes latérales du théâtre des Champs-Elysées) – une de ses oeuvres les plus réussies.
Cette riche exposition se termine sur un film de Jean-Claude Gallotta, Carnet d’un rêveur (2009), réalisé au sein du musée Bourdelle, autour des sculptures du maître des lieux. Comme une sorte de prolongation de la danse inventée par Isadora, porté par des mouvements fluides, sur une musique classique, à esthétique romantique.