Jusqu’au 28 février 2009
Hôtel de Ville, Salle Saint-Jean, 5, rue Lobau 75004, Entrée libre (visite guidée gratuite tous les jeudis à 11h pour les adultes, réservation: 01 42 76 51 53)
Artiste pluridisciplinaire, Jacques Prévert (1900-1977) est célèbre pour ses poèmes des rues de Paris, ses chansons, ses pièces de théâtre et ses films. Moins connus sont ses collages, prolongement de son écriture imagée, et ses textes qui accompagnent les clichés des plus grands photographes. L’exposition de l’Hôtel de Ville dédiée à Jacques Prévert nous fait découvrir tous les aspects de cette oeuvre protéiforme, qui honore Paris.
« Paris la belle » reprend le titre d’un court métrage (1960) réalisé par le frère cadet de Jacques Prévert, Pierre, et dont les textes sont écrits par Jacques. Tout au long de leur vie, les deux frères partageront une même passion pour le cinéma.
Paris est la source d’inspiration vitale de Prévert. Depuis son enfance aux abords du jardin du Luxembourg – il y fait très tôt l’école buissonnière – à sa célébrité mature lorsqu’il deviendra une icône de Saint-Germain-des-Prés, en passant par sa jeunesse contestataire dans le quartier de Montparnasse.
Jacques Prévert naît à Neuilly-sur-Seine, dans « la plus fastueuse des misères ». Son père, André, écrit par-ci par-là des critiques littéraires mais enchaîne le plus souvent des petits métiers. Entre les livres de contes lus par sa mère, Suzanne, et les sorties au théâtre et au cinéma par son père, Jacques est très tôt bercé dans le milieu artistique. Il est entouré de deux frères, l’aîné, Jean, mourra de la fièvre typhoïde à 17 ans, et Pierre, de six ans son cadet.
C’est à cette période que J. Prévert se lie d’amitié avec Marcel Duhamel, traducteur, éditeur et à l’initiative de la Série noire (1945) – nom trouvé par Jacques – chez Gallimard.
Prévert s’installe au 54, rue du Château (Paris XIVe), côtoyant la vie d’une communauté d’artistes, devenus célèbres.
« Breton disait de la rue du Château qu’il n’avait pas vu pareille atmosphère de liberté… Il y avait un peintre, Yves Tanguy qui n’avait jamais peint, un mécène, Marcel Duhamel, qui était alors directeur d’hôtel, et moi qui ne foutait rien. » (Hebdomadaires, 1972).
Prévert et ses amis Surréalistes jouent au « Jeu des Petits Papiers », que Jacques renommera « Le cadavre exquis ». Des exemplaires uniques de ce jeu (une personne écrit un mot, plie le papier et le passe à son suivant, le résultat formant un ensemble farfelu) sont présentés dans l’exposition. Grâce à la petite-fille de Prévert, Eugénie Bachelot Prévert, qui a ouvert les archives de son grand-père à N.T. Binh, critique de cinéma et co-commissaire de l’exposition.
En 1930, J. Prévert s’éloigne des Surréalistes, n’appréciant pas l’autorité d’André Breton. Il publie un pamphlet à l’encontre de Breton, Mort d’un Monsieur, qui n’empêchera pas les deux hommes de rester amis.
Point d’orgue de l’exposition, un coin cinéma diffuse des extraits de ses films devenus légendaires. Un peu plus loin des écrans permettent de regarder certains films en entier.
« Paris, c’est la vie, Paris, c’est les gens », commente la petite fille du poète. La capitale, avec son fourmillement d’hommes, est sa source d’inspiration directe et ce pourquoi il trouve un large écho dans le public. Mais, précise N.T. Binh, « le revers de la médaille du statut de légende populaire est que, dans ce pays, les critiques s’empressent de vous flinguer ».
D’où les paroles de Prévert dans un entretien avec Philippe Haudiquet et Hubert Arnault (in Image et son n°189, 1965): « […] On peut marcher à pied d’un bout à l’autre de Paris, ce n’est rien du tout. Seulement, c’est beaucoup plus vaste que ça ne paraît, Paris, parce qu’il n’y a pas de quartier qui ressemble à l’autre. On pourrait dire la même chose d’un pays qui s’appelle la France. C’est un pays extrêmement varié, c’est pourquoi il y a deux cents fromages. C’est peut-être au fond ce qui en fait, malgré parfois son épouvantable connerie, ce qu’on appelle le charme ».
Association de poésie et de langage de la rue, jeux de mots tendres et corrosifs, la prose de Prévert est chantée par les grandes voix de l’époque: Yves Montand, Juliette Gréco, les Frères Jacques, Edith Piaf. Les Feuilles mortes, écrite à l’origine pour le film de Carné, Les Portes de la nuit, est reprise en anglais par Miles Davis, Keith Jarrett et Nat King Cole. Elle a fait l’objet de plus de 600 interprétations différentes.
Franc-tireur, engagé, politiquement incorrect, l’esprit singulier de cet écrivain populaire s’illustre parfaitement dans une anecdocte confiée, après moult réflexion, par sa petite fille: les bras croisés, face à l’immensité de la mer, l’étrangeté de la vie, le peintre Gérard Fromenger demande à Prévert: « Tu as compris quelque chose, toi? ». Réponse: « Non, rien! ». Finalement, Jacques Prévert était comme son autre grand ami, Pablo Picasso, un être qui décryptait son époque avec un regard aigre-doux, mais sans jamais se prendre au sérieux.