Bruce Davidson. Time of Change (1961-65) & 100th Street (1966-68)
Jusqu’au 22 avril 2007
Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis 75014
5€ / entrée libre le mercredi soir (18h30 – 20h30)
01 56 80 27 00
Dans le cadre du 60è anniversaire de Magnum Photos, la Fondation Henri Cartier-Bresson accueille dans ses murs l’oeuvre du grand photographe New-Yorkais, Bruce Davidson.
Né en 1933 à Chicago, Bruce Davidson relève de l’école de la photographie sociale, aux côtés de Lewis Hine et des photographes de la Farm Security Administration (FSA).
L’étudiant en photographie découvre Images à la Sauvette (1952) de Henri Cartier-Bresson alors qu’il est basé à Paris pour son service militaire. « C’est en vivant que nous nous découvrons, en même temps que nous découvrons le monde extérieur. Il nous façonne, mais nous pouvons agir sur lui ». Davidson rencontre alors le grand homme et lui montre son premier essai photographique, La Veuve de Montmartre. Encouragé à poursuivre par celui qu’il s’amuse aujourd’hui à appeler « sa mère photographique », B. Davidson entre à l’agence Magnum (1958).
Le jeune photographe s’installe à New York et commence ses séries de portraits sociaux avec The Dwarf (« le Nain ») et Brooklyn Gang. Après un reportage sur la Grande-Bretagne en crise (1960), Davidson documente la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis – Time of Change (St Ann’s Press, 2002).
Ses images constituent une mémoire visuelle fidèle des Etats-Unis des années 1960. John Szarkowski, directeur honoraire du département de photographie du MoMA, reconnaissait que « la présence qui emplit ses photos semble être celle de la vie qui y est montrée, à peine altérée par sa transformation en art ».
Les photographies en noir et blanc de Davidson témoignent de la manière la plus objective possible de l’émancipation des Noirs américains, initiée par l’affaire Rosa Parks (1955), lorsqu’une femme noire refuse de laisser sa place assise dans un bus à un voyageur blanc. Pendant cinq ans, Davidson parcourt les lieux de vie des Afro-américains, dans le sud des Etats-Unis et dans les grandes villes telles que Chicago, Washington et New-York.
Davidson apprend à poser sur cette communauté un regard de l’intérieur, tandis que la presse officielle photographie la rebellion pacifiste de l’extérieur, lors d’événements populaires – rassemblements, marches, convois organisés.
Envoyé par le New York Times, Bruce Davidson photographie certes aussi ces mouvements de protestations civiques, telle la Freedom March (1961) – voyage en autobus d’étudiants anti-ségrégation de l’Alabama au Mississippi – ou la marche entre Selma et Montgomery (1965).
Mais au-delà, à la fois observateur et participant, il s’intéresse aux détails de l’histoire, a priori anodins mais de fait emblématiques, comme cette arrestation de Noirs américains pour avoir protesté devant un restaurant avec une pancarte stipulant : « Khrushchev can eat here. Why can’t we? »
Le photographe s’immisice également dans le camp de travailleurs saisonniers de cotons, pris en tenaille entre la peur des ségrégationnistes violents et leur fort désir d’émancipation.
Davidson parvient à convoyer un regard emprunt d’empathie sur le quotidien des Afro-américains – tel ce cliché montrant une ramasseuse de coton recevant quelques menues pièces d’un propriétaire Blanc – ou celui avec un enfant, étourdi par le labeur, et endormi sur un sac de coton.
En 1965, Bruce Davison se tourne vers le Harlem espagnol, le quartier alors le plus malfamé de New York. « J’ai intégré un mode de vie, et comme les gens de ce quartier, je l’aime et je le hais – et je passe mon temps à y retourner », confie le photographe en 1970. Mais l’intégration n’a pas coulée de source. « Je devais me forcer parfois pour aller dans ce quartier parce que j’avais peur de violer la barrière douloureuse de leur pauvreté ». Les locaux ne se gênent pas pour le lui faire remarquer, comme cet homme qui l’accuse – parce qu’il était blanc parmi les Noirs – d’avoir « violé la planète ». Ou ce jeune garçon qui refuse que le picture man photographie ses pigeons pour ne pas les « emprisonner ».
La Centième Rue, à l’Est de New York, se dévoile malgré tout, avec ses enfants derrières des grillages, une fillette maigrissime, des débris à perte de vue, des murs d’intérieur couverts d’un drapeau américain tenant compagnie au Christ et à Kennedy, un vieil homme tentant de faire pousser de l’herbe entre deux dalles de béton, des drogués dans un sous-sol, des immeubles désaffectés, etc.
Mais Harlem rime également avec fraternité et joie comme ces images chaleureuses d’un homme prenant sa femme dans ses bras sur fond de feu d’artifice, ce mariage de trois femmes noires, vêtues de blanc soyeux, chacune portant un voile retenu par une grosse rose blanche, ou ces deux petites soeurs collées l’une contre l’autre sur un grand canapé blanc.
La plus grande récompense de Davidson pour cette oeuvre légendaire fut la visite des « habitants de la 100è rue venus se voir » lors de la rétrospective du MoMA de 1970.
Tirages modernes réalisés par l’artiste lui-même à New York et pour la première fois montrés en France. On avance de chef-d’oeuvre en chef-d’oeuvre. Emotion garantie face à la puissance esthétique, la portée sociale et la profonde humanité de ces clichés – au sens propre du terme, only!