Guy Tillim – Jo’burg / Avenue Patrice Lumumba
Jusqu’au 19 avril 2009
Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis 75014, 6€ (gratuit en nocturne le mercredi 18h30-20h30)
Changement de décor pour 2009! Foin du traditionnel noir et blanc des clichés des années 1950 qui composent l’essentiel des expositions de la Fondation Henri Cartier-Bresson, ce premier opus de l’année fait place à la couleur et aux années 2000! Pour autant, la profondeur du sujet abordé reste de mise. « Jo’burg / Avenue Patrice Lumumba » présente les derniers travaux du photographe sud-africain Guy Tillim. Pour éliminer tout sous-entendu, l’artiste est blanc. C’est un Afrikaner. D’où le thème de ces deux séries: trouver son identité dans un pays qui vit actuellement un apartheid inversé.
« La terre où je suis né m’est devenue étrangère à mesure que je la découvrais. Le désir de photographier cette scène est moins lié à la volonté d’en poser le décor que de m’y situer moi-même » (Guy Tillim).
Pas facile de repérer la sillouette discrète du photographe au milieu du brouhaha des journalistes, très dissertes après la trêve festive hivernale. Surtout lorsque l’on cherche désespéremment une silhouette brun carbone et que l’on ne voit que des têtes blanches comme neige! Forcément, bien que né à Johannesburg en 1962, l’artiste a le teint aussi européen que nous! Naturellement, on se demande comment vivre sa couleur de peau dans un pays brutalisé dans un sens par la colonisation, puis dans l’autre par les politiques post-coloniales…
C’est tout le sujet des deux séries principales de cette exposition, présentées chacune à un étage.
« Jo’burg » (2004) illustre les tours du centre ville, désaffectées par les propriétaires (blancs), occupées par les migrants (noirs) des campagnes venus chercher du travail. Du rêve en ville. Les agents chargés de récolter les loyers pour les propriétaires, barricadés dans des banlieues sécurisées – à l’image des Etats-Unis et à l’inverse de la France -, ont impunément mis l’enveloppe dorée dans leurs poches et ont pris la poudre d’escampette. Les familles, sans le sous, sont restées, devenant des squatteurs de tours insalubres. Elles s’entassent dans un espace exigu, ouvrent dans leurs chambres des petits commerces, vivotent tant mal que bien au milieu de fenêtres brisées, de murs décrépis, de cages d’escalier transformées en décharges. C’est cet espace privé que Guy Tillim a photographié à son image. De manière non intrusive, s’implicant délicatement pour témoigner sur ces exclus volés par les leurs, abandonnés par les politiques. Ici une main, là une ombre, parfois un portrait en demi-teinte. La présence humaine se fait étrangement sentir. Contraste fort entre la chaleur humaine transmise par les regards et la nudité matérielle des pièces. La série « Jo’burg » a reçu le prix Daimler-Chrysler pour la photographie sud-afriaine en 2004 et le Prix Leica Oskar Barnack en 2005.
Parallèlement, « Avenue Patrice Lumumba » (2008) – premier président congolais élu, après l’accès à l’indépendance du pays (1960), alors sous gouverne belge – restitue l’espace public de la République Démocratique du Congo, de Madagascar, du Mozambique, du Bénin et du Ghana. Des pays marqués par un néant visuel en raison de la vacance politique des années d’indépendance. Piscines vides, palaces abandonnés. Ce qui choque, surtout, ce sont les conditions dans lesquelles travaillent des fonctionnaires désabusés. Des trous dans les planches en bois qui leur servent de bureaux, des étagères qui plient sous le poids de papiers rongés par les mites. L’intention première du photographe n’est pourtant pas de témoigner sur l’état de délabrement des Etats africains, qui libérés du joug de la colonisation, peinent à trouver leur voie de gérance. Mais toujours de se situer, de trouver son identité à la fois profondément africaine et indéniablement hybride.
« Le point commun de ces deux séries, complétées par quelques photos de ‘Petros Village’ (2006) et de ‘Congo Democratic’ (2007), reste le regard doux voire tendre que Guy Tillim porte sur ses compatriotes », commente de sa voix chantonnante Federica Angelucci, assistante de la galerie Michael Stevenson au Cap, qui représente le photographe en Afrique du Sud.
La force de ces images, aux teintes passées qui font d’autant plus ressortir la nudité et la violence sous-jacente qui règne sur place, permet de prendre de la distance par rapport à nos problèmes occidentaux de « crise ». Deux mondes à part rejoint par un même rêve d’un avenir meilleur…
Une exposition incontournable.