Giorgio de Chirico, La Fabrique des rêves
Jusqu’au 24 mai 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-GIORGIO-DE-CHIRICO–GIORG.htm]
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116
Artiste aussi adulé qu’il a été critiqué par ses pairs, Giorgio de Chirico (1888-1978) laisse une oeuvre complexe, tantôt fantastique, tantôt classique. La rétrospective que lui consacre le musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend compte du parcours singulier de l’artiste, qui, en fin de carrière, pastiche ses propres toiles. Par épuisement créatif ou, à l’instar de Rimbaud ou Duchamp, par volonté d’auto-destruction? Le mystère chiriquien est loin d’être résolu…
Précurseur des surréalistes – « et non suiveur; ce sont ses fils qui l’ont tué », commente avec ironie la commissaire de l’exposition, Jacqueline Munck -, Giorgio de Chirico (né en 1888 à Volos, Grèce) fascine, dès son arrivée à Paris (1911), Guillaume Apollinaire. Celui-ci l’introduit auprès de Picasso, Derain, Jacob, Braque, Picabia. André Breton voit en Chirico l’inventeur d’une « mythologie moderne », l’instigateur secret du surréalisme.
Ses premières oeuvres, inspirées des romantiques allemands Arnold Böcklin (1827-1901) et Max Klinger (1857-1920) que Chirico découvre lors de sa formation artistique munichoise, dénotent d’un univers fantasmagorique. Ses visions intérieures, révélées, se traduisent en compositions architecturales, dont les lignes fuient à l’horizon. Elles sont peuplées de monuments équestres (Souvenir d’Italie, avant 1920) ou statues silencieuses et alanguies (La Méditation matinale, 1911/2; Place avec Ariane, 1913), côtoient des fruits exotiques (Le Rêve transformé, 1913) puis des mannequins sans visage et partiellement démémbrés (Le Vaticinateur, 1915).
En 1915, G. de Chirico est mobilisé en Italie avec son frère cadet, également artiste sous le pseudonyme Alberto Savinio. Il peint des intérieurs « métaphysiques » – qualificatif conféré par G. Apollinaire, dont Giorgio a peint le portrait avec une marque au front, qui se révèlera une future blessure de guerre -. Ferrare, ville à l’architecture « carrée », lui évoque la scène d’un théatre tragique (Hector et Andromaque, 1924; Les Muses inquiétantes, 1924).
Après la Grande Guerre, Giorgio de Chirico change brutalement de cap. Il se déclare « Pictor Optimus » (littéralement, Peintre le meilleur) alors qu’il opère un retour vers le classicisme. Breton l’accuse de régression anti-moderniste et l’exlut du cercle des surréalistes. Portraits et paysages à la manière des Maîtres Anciens trahissent son inventaire des grandes traditions picturales, de Michel-Ange, Titien, Rubens, Fragonard à Courbet.
Le principe de la copie annonce celui des replay, l’artiste reprenant ses propres oeuvres (Piazza d’Italia, 1962 ; Les Masques, 1973) et apporte une réflexion sur le concept de chef d’oeuve unique (unica). Suicide pictural selon l’artiste américain Robert Motherwell (1915-1991), originalité géniale selon Andy Warhol: « J’adore son oeuvre et cette façon de répéter les mêmes peintures encore et encore. J’aime beaucoup cette idée ; j’ai donc pensé qu’il serait formidable de le faire » (1982). Jacqueline Munck voit dans les autoportraits de cette période (Autoportrait nu, 1940) « une provocation anti-moderne, quasi iconoclaste ».
La dernière période, néo-métaphysique, reprend ses thèmes initiaux – places italiennes, paysages conçus comme une scène de théâtre – en les tournant en dérision. Ainsi, Ulysse, son alter ego mythique (comme Angélique dans Roger et Angélique, 1940 incarne son épouse Isabelle), se retrouve à ramer dans une chambre (Retour d’Ulysse, 1968) décorée, à gauche, d’une peinture métaphysique de Chirico et dont la fenêtre, à droite, donne sur un temple antique. Métaphore du statut du peintre – héros déchu de son piédestal.
Une oeuvre complexe à (re)découvrir – sa réputation moderne a été ternie par la critique de Breton -, d’autant que la rétrospective a le privilège d’exposer des oeuvres qui sont rarement prêtées par les institutions internationales. D’inspiration nietzschéenne (La Révélation du solitaire ou Intérieur métaphysique, 1917), le corpus chiriquien incarne sublimement les jeux d’ombre et de lumière que lui inspire la littérature du philosophe allemand.
Une metafisica peuplée d’êtres imaginaires et mythologiques qui brouillent les codes picturaux et perturbent autant les détracteurs de l’artiste que ses admirateurs.
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