L’invention du langage
Jusqu’au 28 janvier 2024
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris 6e
Le musée du Luxembourg dresse un parallèle entre l’oeuvre poétique méconnue de l’Américaine, Parisienne d’adoption, Gertrude Stein, et l’inventeur du cubisme, Pablo Picasso. Décomposition des objets du quotidien, sérialité, circularité, sont autant de thèmes communs au travail de ces deux avant-gardistes extrêmement libres et bohèmes.
L’exposition s’intéresse à la fois à la pratique littérale et picturale de ces deux êtres marginaux immigrés à Paris, et à la postérité de leur oeuvre sur la scène américaine autour de John Cage, Merce Cunningham, Fluxus, Living Theater, Pop Art…
Gertrude Stein (1874-1946), juive, ouvertement homosexuelle, s’installe à Paris en 1904, rue de Fleurus, à deux pas du musée du Luxembourg, deux ans après l’arrivée de Pablo Picasso (1881-1973), qui loge à Montmartre.
Le peintre espagnol immortalise la jeune femme en 1906 ; « ce qui signe leur alliance amicale et artistique autour du cubisme, entre peinture et écriture, aux yeux de la postérité », commente Cécile Debray (présidente du musée national Picasso-Paris), co-commissaire de l’exposition. Une amitié qui est consignée dans l’Autobiographie d’Alice Toklas (1933) de G. Stein.
Dès son arrivée, Stein pose la question de l’identité culturelle au coeur de son oeuvre, The Making of Americans. Avec son frère Leo, elle achète La Femme au chapeau de Matisse, qui fait scandale au Salon d’automne de 1905, et rédige Three Lives face au Portrait de Madame Cézanne à l’éventail ; oeuvres qui sont accrochées chez elle, et qui engendrent une nouvelle réflexion picturale chez Picasso : comment représenter le réel, ancrer les choses dans le présent ?
Par la répétition, aux variations subtiles, Stein donne du rythme, de l’oralité, à son écriture tandis que Picasso condense de plus en plus ses figures et les volumes. Stein accompagne les différentes étapes du cubisme picassien en acquérant des oeuvres de chaque période et en développant une écriture dont la forme se rapproche du cubisme.
Dans les années 1910, la poétesse opère une déstructuration complète de la syntaxe, éclatant la phrase. Dans Tender Buttons, elle rédige une ode à la vie quotidienne sans nommer les choses, mais en les suggérant par le verbe et l’adverbe. Parallèlement, Picasso éclate les formes, ajoute des objets et matériaux ordinaires dans ses collages. Le maître espagnol considère l’Américaine comme son pendant littéraire ; elle est d’ailleurs surnommée « la cubiste des lettres ».
La réception de l’oeuvre de Stein est lente aux États-Unis. Il faut attendre les années 1950-60 pour que soit saisie la radicalité formelle de ses écrits, grâce au couple John Cage et Merce Cunningham, qui domine l’avant-garde new-yorkaise. Les artistes diffusent les écrits de Stein par leurs performances théâtrales et musicales en reprenant les concepts de la poétesse : répétition, rejet de la narration linéaire, intégration du quotidien à partir d’un lexique épuré.
L’oeuvre qui m’a le plus marquée dans cette section est un diptyque d’Ellen Gallagher, Dance You Monster à base de caoutchouc, papier et émail sur lin, qui évoque la cause noire, en jouant entre l’opacité et la transparence des matériaux. Le reste des oeuvres de cette seconde partie est très conceptuel.
En lisant le titre de l’exposition, je m’attendais à un propos plus centré sur Stein et Picasso. De ce fait, j’ai eu le sentiment de rester sur ma faim. Mais l’ensemble est bien documenté. Au final, une expo mi-figue mi-raisin ; les fruits de saison ☺️