Jusqu’au 26 janvier 2009
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee-et-Exposition-BILLET-MUSEE—EXPOSITIONS-MUSEX.htm]
Centre Pompidou, Place G. Pompidou 75004, 12€
Avec « Le Futurisme à Paris », Didier Ottinger, commissaire d’exposition et directeur adjoint du musée national d’Art moderne signe une magnifique rétrospective. Une révérence aux artistes italiens qui proclamaient pourtant dans leur Manifeste vouloir détruire les musées!
Mal connu en France, peu représenté dans les collections publiques, le mouvement Futuriste avait besoin d’une nouvelle visibilité (la dernière exposition sur le sujet remonte à 1973). Car ce courant ne signe pas moins la naissance de l’avant-garde elle-même. Jamais auparavant aucun manifeste – celui des Futuristes, rédigé par Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), est publié le 20 février 1909 à la une du Figaro – n’avait rejeté avec autant de violence l’héritage du passé. « Cracher chaque jour sur l’Autel de l’Art » (F. T. Marinetti).
Quels canons esthétiques anciens hérissent tant les Futuristes? Le nu, coupant court en cela aux recherches plastiques insufflées depuis Les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1907). La palette restreinte des Cubistes: les Futuristes revendiquent les couleurs impressionnistes, précisément rejettées par les premiers. La « facture linéaire des Egyptiens », c’est à dire la vénération du passé, très présente dans la culture italienne, sous sa forme archéologique mais aussi primitive (encore une critique à l’égard de Picasso).
Les Futuristes italiens – autour d’Umberto Boccioni, Carlo Carra, Luigi Russolo, Gino Severini (vit à Paris depuis 1906) – célèbrent, à l’inverse, toutes les formes de la modernité. La machine, la vitesse, les foules urbaines, l’éclairage électrique, les nouveaux lieux de communication comme les gares, les ports. « Nous voulons à tout prix rentrer dans la vie ». S’inspirant des idées bergsoniennes, les Futuristes parlent de « dynamisme, simultanéité, durée ».
Picturalement, ces notions se traduisent par la représentation du mouvement, qui engendre une dislocation des formes, une diffraction des objets et des corps, aux dépens d’une cohérence formelle.
En comparaison, la « modernité » de Charles Baudelaire (1821-1867) fait pâle figure! Le poète français envisageait une modernité qui répond au contexte de son époque, liée à la « mode, la morale, la passion ». Une modernité qui ne pouvait que respecter « l’éternel immuable ». Au contraire des Futuristes qui fondent leur poésie sur « le courage, l’audace et la révolte ».
Au nom du rejet de la stabilité, les Futuristes vont jusqu’à encenser la guerre… Sur le plan politique, ils sont naturellement proches des idées anarchistes. A l’instar de Félix Fénéon, directeur artistique de la galerie parisienne Bernheim-Jeune & Cie, qui va accepter d’exposer les oeuvres des peintres italiens en 1912.
Or, un an auparavant, les artistes italiens font un voyage à Paris. Ils découvrent à la galerie Kahnweiler les tableaux de Braque, Picasso et, au Salon d’Automne, les oeuvres de Fernand Léger, Jean Metzinger, Albert Gleizes. Devant les dernières avancées du Cubisme, leurs idées préconçues à l’encontre du mouvement en prennent un coup! De retour à Milan, Boccioni présente une seconde version de ses Etats d’âme, marquée cette fois-ci par « la cristallographie cubiste », commente Didier Ottinger, aussi explosif que son sujet par son sens de la formule!
Point d’orgue de l’exposition au Centre Pompidou, le carré rouge central reconstitue les cimaises de la galerie Berheim-Jeune & Cie lorsque celle-ci présente les oeuvres des Futuristes italiens à Paris. Dans Etats d’âme : Ceux qui restent (1911), Boccioni revendique l’héritage du divisionnisme de Seurat et Signac tout en l’associant à une iconographie moderne – gare, train à vapeur. Le peintre montre qu’il a assimilé la leçon du cubisme en fragmentant les formes. Dans La Ville qui monte (1910/11), il représente le vortex de la ville, son énergie qui souffle dans une transpostion ascendentale (cf. Le Guéridon de G. Braque, 1911). Dans Visions simultanées (1911), U. Boccioni propose une vision démultipliée de la ville, où l’espace intérieur est mis en parallèle avec l’extérieur. Enfin, dans Idole moderne (1910/11), la femme est représentée comme une dangereuse combattante, à l’opposé de la vision romantique. Chez Marinetti, la femme prend la forme d’une poupée électrique, devient l’héroïne de cafés bariolés (cf. aussi Le Rire, 1911, de U. Boccioni), éclairés artificiellement par des néons. Une manière de répondre à l’invective du Manifeste des Futuristes invitant à « tuer le clair-de lune » des Romantiques. Chez Carlo Carra, on retrouve l’idée de masse en mouvement, le rêve de l’insurrection, de l’action directe de la pensée anarchiste (cf. Les Funérailles de l’anarchiste Galli, 1910/11). Gino Severini, Parisien Italien, offre quant à lui une vision française du Futurisme en décrivant le mouvement des danseurs (cf. La Danse du ‘pan-pan’ au Monico, 1909/11) et l’idée de durée dans Souvenirs de voyage (1910/11).
En sortant du carré rouge, le visiteur tombe sur la vue de Paris, face à Montmartre et un peu plus à l’ouest les tours de la Défense. Une vision on ne peut plus futuriste qui fait la liaison avec la salle suivante présentant les oeuvres de Félix del Marle, seul artiste français qui a adhéré spontanément aux idées futuristes après l’exposition de la galerie Berheim-Jeune. Del Marle fonde le Manifeste Futuriste contre Montmartre (1913), un an après celui de Valentine de Saint-Point qui a lancé le Manifeste de la Femme Futuriste, et pour qui la luxure est une force de vie.
Ce « cubofuturisme » forme la troisième étape du développement du futurisme selon Kasimir Malévitch, qui forme l’avant-garde russe avec Lioubov Popova, Alexandra Exter, Natalia Gontcharova. Pour ces artistes, le Cubisme pèche par son rejet d’une iconographie moderne, tandis que le futurisme a tort de rejeter toute rhétorique formelle.
Bientôt le mouvement s’exporte en Angleterre, où il prendra le nom de Vorticisme. Il est représenté par Christopher Richard Wynne Nevinson, Wyndham Percy Lewis et Jacob Epstein. Dans Torse en métal pour « La perforatrice » (1913/14), ce dernier fait la synthèse entre l’homme et l’animal: après avoir exalté la marchine, il découvre l’horreur de la guerre et sectionne sa sculpture.
Outre-Atlantique, l’Armory Show (1913) à New York dévoile au public la diversité de l’art moderne européen. L’impact est tel que la presse s’emmêle les stylos et qualifie de « futuriste » tout ce qui semble avant-gardiste. Ainsi, le portrait des frères Duchamp, publié dans l’essai de J. Nilsen Laurvick, Is it art? Post-impressionnism – Futurism – Cubism (1913), s’accompagne de la légende The Futurist Brothers. Après Nu descendant un escalier n°2 de Duchamp – devenu l’icône du cubofuturisme -, Bataille de Lumières, Coney Island, Mardi Gras (1913/14) de Joseph Stella devient la référence du cubofuturisme à l’américaine. L’oeuvre est mise en parallèle avec Luna Park à Paris (1900) de Giacomo Balla pour leur représentation identique des lumières électriques de la ville. Celle que les Futuristes italiens avaient mis au centre de leur quête plastique.
C’est donc par un clin d’oeil à l’entrée de l’exposition que ce dernier tableau clôt cette rétrospective. Tout en l’ouvrant sur le monde contemporain avec une allusion aux technologies modernes. Car, aujourd’hui, l’esprit futuriste se retrouve dans les nouvelles technologies. Incarnées dans l’exposition par la commande de Didier Ottinger à l’artiste américain, Jeff Mills, célèbre DJ et producteur de musique techno. Critical arrangements reprend les idéaux des Futuristes, avec une bande sonore qui reflète l’efficacité et la précision des chaînes de montage industrielles de la Motown (contraction de Motor et Town), autrement dit Détroit. Ville par excellence de l’application du fordisme et de la naissance de la musique techno.
Plus qu’une exposition sur le Futurisme, cette rétrospective analyse l’impact du courant italien sur les avant-gardes européennes. Du début du XXe siècle à nos jours. Magistral.