Le feu sous la glace

Félix Vallotton

Jusqu’au 20 janvier 2014

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Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clémenceau, Paris VIII

 

Graveur illustrateur de première heure, Félix Vallotton (né en Suisse en 1865 – 1925) rejoint Paris en 1882 et devient membre du groupe des Nabis, auprès de Bonnard, Vuillard, Denis – il est surnommé le « Nabi étranger ». Le Grand Palais propose une lecture transversale de son oeuvre, reconnaissable à ses traits précis découpant une forme aux couleurs raffinées et à ses cadrages à la perspective aplatie, empruntée à l’estampe japonaise et à la photographie.

A cheval sur deux siècles et deux cultures, épousant une veuve à trois enfants – ce qui le place dans la difficile position du père remplaçant (Le Dîner, effet de lampe, 1899) -, Félix Vallotton développe une personnalité complexe qui se traduit par des oeuvres singulières.

Guy Cogeval, Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, co-commissaire de l’exposition résume : « Je retiens surtout de Félix Vallotton un regard sans concession et une férocité ancrée dans une réalité quotidienne qu’il restitue par une ligne s’inspirant pour beaucoup de la beauté parfaite d’Ingres, et sûrement des maniéristes italiens du XVIe (Bronzino, Parmigianino, Domenico Beccafumi…), ces peintres qui ont utilisé la ligne serpentine, mais une ligne et des couleurs complètement déréglées… Ils restituaient les ombres par les cangianti. Les maniéristes avaient le goût pour le bizarre, pour l’étrange que Vallotton a aussi fait sien. »

Isabelle Cahn, conservateur en chef du musée d’Orsay et autre commissaire de l’exposition complète : « La lumière arrive inexorablement en biais par rapport à l’orientation des fenêtres, l’éclairage des salles n’est pas du tout naturel, et le regard que l’on a sur une pièce et sur un intérieur est toujours très étrange. Ainsi, les fauteuils et les canapés tiennent plus de place que les hommes et les femmes eux-mêmes. Les personnages semblent toujours naufragés dans leurs meubles. »

La loge de théâtre, le monsieur et la dame (1909) est un bel exemple de ce traitement mi-figue mi-raisin des personnages. Le tableau est scindé en deux, avec deux personnages dans l’ombre situés dans la partie supérieure. Tout le premier plan est réservé à la représentation de la loge dans une vue en contre-plongée! Vallotton laisse volontairement le spectateur face à un mur pour mieux solliciter son imagination. Qui est ce couple? Marié ou adultère comme le laisse supposer la position dans l’ombre du monsieur? Les doigts de la femme posés sur le rebord de la loge trépignent-ils d’impatience? En-a-t’elle assez de sa relation?

Ses paysages se caractérisent par ce même effet de perspective aplatie, où peuvent se mêler différents angles de vue. C’est que Vallotton dessine devant le motif, réalisant plusieurs « prises de vue » sous des angles différents. Puis il peint dans l’atelier à partir de ces éléments crayonnés, qu’il combine parfois à des modèles photographiques ou des reproductions de tableaux. L’exposition met bien en valeur cette particularité technique dans la section « Un regard photographique ». Le Ballon (1899) propose ainsi une composition duale avec dans une partie inférieure une petite fille courant après un ballon et dans la partie supérieure des femmes discutant à l’orée d’un bois. Ce sujet a été réalisé à partir de deux photographies distinctes, présentées à côté de la toile, que l’artiste a assemblées.

Cette technique en deux temps permet au peintre de se détacher des émotions et du trouble que peut provoquer le modèle. Ce qui’l juge indispensable quand il s’agit de représenter des nus! Cézanne lui même peignait ses baigneurs d’après des statues. D’où cette impression d’érotisme glacé. Ses nus sont figés dans leurs poses provocantes.
A l’inverse, ses tableaux figuratifs semblent prendre prendre feu sous la glace. Tout s’y agite en silence, dans cette incommunicabilité entre les êtres, chère à Vallotton. Dans les Cinq peintres, seuls les mains et les yeux témoignent d’un langage qui reste pourtant silencieux.

Si la chair est froide, l’arabesque de la forme est souple. Ses Femmes à leur toilette se tendent et se détendent comme des poupées, ses danseurs semblent se mouvoir en flottaison (La Valse, 1893), ses nuages et ses vagues sont stylisés à la manière des estampes japonaises (L’Enlèvement d’Europe, 1908).

La peinture de Vallotton étonne autant par ses jeux de lumière artificielle, ses compositions étranges où les meubles intérieurs semblent avoir plus de place que ses personnages, ses nus sans visage donc sans identité, ses couleurs imaginaires et son regard sans complaisance sur la tromperie humaine.

Le tout est magnifié par une scénographie qui joue la dramatisation par une gamme chromatique évoluant du gris au rouge et une structure géométrique fondée sur des cimaises qui se fondent puis se détachent progressivement de l’architecture des salles.

 

 

 

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