Jusqu’au 12 juillet 2009
Musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas 75006, 4€
Redécouvrir Zadkine par son oeuvre graphique. Telle est l’ambition de la nouvelle exposition du musée Zadkine qui présente la sélection d’une cinquantaine d’oeuvres issues des collections du musée, récemment enrichies. Du début des années 1910 à sa mort, Ossip Zadkine (1890-1967) aborde tous les aspects de l’art graphique (aquarelle, dessin, encre, gouache) en complément de son oeuvre sculptée. Les feuilles reflètent son évolution stylisque, du primitivisme à l’abstraction en passant par le cubisme et l’Antiquité classique. Elles expriment également la sensiblité à fleur de peau de l’artiste.
S’il rêve de sculpture, dès son arrivée à Paris, le jeune Ossip Zadkine (né à Vitsbek, Russie) se met au dessin pour gagner son pain. Il s’installe dans le quartier de Montparnasse dans les années 1910 et sympathise avec Picasso, Brancusi, Apollinaire, Matisse, surtout Mogliani, avec qui il croque le portrait de passants pour quelques francs. Tous se retrouvent à la Closerie des Lilas.
Zadkine a toujours un carnet dans sa poche. « Dessine, il n’y a vraiment que le dessin pour remettre d’aplomb. On ne peut se laisser à l’ennui ou à la tristesse si on dessine », affirme l’artiste. D’où sa production graphique abondante, dont l’évaluation en cours porte déjà à 1200 ses oeuvres sur papier. Elles sont aujourd’hui dispersées à travers le monde, principalement dans des collections privées.
En 1980, la veuve de Zadkine, Valentine Prax, fait un legs au musée Zadkine. Il est à l’origine d’une politique active de nouvelles acquisitions, dont les pièces maîtresses sont représentatives de la période particulièrement fructueuse de l’artiste entre 1910 et 1930.
L’exposition présente un parcours chronologique de 1913 à 1967, reflétant les aléas de la vie de Zadkine, qui se répercutent sur l’ensemble de son oeuvre. Notamment dans la représentation de la figure humaine – l’essence de son art.
Les dessins les plus anciens datent de 1913. Ils représentent déjà des figures, isolées sur la feuille.
Quatre ans plus tard, La Caserne illustre le traitement de la Grande Guerre. Zadkine la vit en tant qu’engagé volontaire dans les ambulances russes. La tension de la composition naît des traits hachés qui remplissent la feuille.
A la fin de la guerre, l’artiste est invité par son ami peintre, Henry Ramey, dans un village du Tarn et Garonne (Bruniquel), où il se remet de son épuisement physique et moral (il a été gazé en Champagne). Au plus proche de la nature, Zadkine se remet à peindre. En témoigne un ensemble de paysages, d’inspiration cubiste. Dans Village (1920), il représente des bâtisses qui semblent se soulever du sol. Les formes et les lignes de fuite sont totalement arbitraires.
Après la Ruche et la rue de Vaugirard, Ossip s’installe rue Rousselet (proche du carrefour Duroc, Paris VIIe), où il rencontre sa future compagne, sa voisine, Valentine Prax, venue à Paris après avoir étudié à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger.
Dans les années 1920, Zadkine dessine des groupes de femmes, inspirées des baigneuses de Cézanne. Seuls leurs contours apparaissent; les femmes sont immenses, comme taillées d’un seul bloc (Trois figures féminines, 1920). A l’image de celles qu’il sculpte au même moment dans le bois. Dans ses feuilles, l’artiste intègre les figures dans des intérieurs, structurés par les angles des murs, les lignes du parquet et les meubles (Nu assis, 1920).
Soudain, ses personnages se parent de vêtements subtilement colorés qui jouent des effets de matière (Au cirque, 1928). « Il y a toujours de la fantaisie et de la poésie dans ces scènes pacifiques qui évoquent des instants de plaisir (terrasses de café, moments de cirque, 14 juillet à la campagne, séances de musique, etc.) », commente Sylvain Lecombre dans le catalogue de l’exposition. Mais, toujours, ses figures dessinées semblent extraites d’un tronc (Famille et Arlequin, 1934).
A partir de 1928, Zadkine se dégage de l’influence cubiste, trop formelle et rigoureuse à son goût, pour se pencher vers la mythologie grecque. Il introduit des drapés antiques qui moulent ses figures dessinées autant que sculptées et leur confèrent souplesse et mouvement (Trois nymphes, 1939). On peut dater cet intérêt pour l’Antiquité à ses années de formation en Angleterre. Lorsqu’il vit à Londres (1906), le jeune Ossip étudie de près les oeuvres grecques et orientales du British Museum.
Après ses hommages aux poètes – Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, Jarry -, c’est le temps des atrocités de la seconde Guerre mondiale. L’artiste fuit le nazisme en émigrant aux Etats-Unis. Il s’installe à Greenwich Village et expose à la Galerie Wildenstein. Zadkine revient en France dans les années 1945/46, où il enseigne à l’Académie de la Grande-Chaumière. Il réalise Daphné (1946), dessin à l’encre qui témoigne de sa sensibilité pour la nature, en particulier le bois, et de sa maîtrise à fusionner l’humain et le végétal.
Les années 1950 sont marquées par son cheminement vers l’abstraction (Les Trois Amis, 1959), illustrée par la représentation de figures qui perdent leurs caractéristiques humaines pour se diluer dans des compositions géométriques. Tout en revenant par intermittence, comme par nostalgie, à une thématique plus prosaïque (Le Berger d’Arcadie, 1957) ou aux têtes anonymes, sculptées dans la pierre ou le bois, dans les années 1920.
Si les visages reprennent quelques couleurs humaines, ils n’en sont pas moins traités dans l’urgence dans les années 1960. Zadkine dessine avec et sur tout ce qui lui tombe sous la main (sytlo-bille, crayon de couleur, feutre). Depuis son lit d’hôpital, sa main trace des lignes de manière obsessionnelle, indifférente à la technique, représentant des résidus de personnages (Visage inquiet, vers 1966/67). « […] comme par le simple réflexe d’une main qui, après avoir peint et dessiné tant de figures, tant de visages, s’efforce de saisir encore quelque chose de l’humain, mais cette fois dans son extrême dépouillement et dans sa solitude » (Sylvain Lecombre).
Tangible émotion devant les feuilles autant que les oeuvres sculptées, dont la profondeur des traits reflètent l’angoisse de l’artiste. Mais également sa vision fantaisiste et poétique, affranchie de tout diktat formel. Un artiste farouchement libre.
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