Galerie des Gobelins, 42, avenue des Gobelins 75013, 10€ (entrée libre le dernier dimanche de chaque mois)
Dire que la plupart des 250 pièces exposées à la Galerie des Gobelins prennent rarement l’air… Commandées pour les résidences présidentielles ou les salons d’apparat des ambassades de France, le mobilier orné de tapisseries ne trouve pas toujours propriétaire. Il est alors relégué dans les réserves du Moblier National. Pour la première fois, le fleuron des collections des Manufactures de Beauvais, des Gobelins et de la Savonnerie, est exposé au public. Pur ravissement.
Sièges, paravents, écrans, sacs à main témoignent de la diversité et du raffinement de l’art de la tapisserie d’ameublement à la française, après l’influence de l’Art nouveau à la fin des années 1900. Le début du XXe siècle marque en effet le tournant de nouveaux goûts esthétiques, qui s’épanouissent après la Première Guerre mondiale. Par réaction au dynamisme des écoles d’art décoratif étrangères avant-gardistes, un nouveau style naît en France, fondé sur la relecture des traditions anciennes. « Le mobilier français pouvait alors sembler quelque peu retardaire par son attachement au décor sculpté et à l’ornement issus de la tradition et de ses racines », commente le co-commissaire de l’exposition, Yves Badetz (conservateur au musée d’Orsay).
Ce nouveau style s’exprime par des couleurs vives, des sujets plus gais, en adhésion avec les valeurs de la modernité ambiante. Sont représentés les nouveaux moyens de transport comme l’automobile et l’avion, la conquête de l’espace. Ainsi du paravent de Louise Pascalis (1893-1934) illustrant un dirigeable, un planneur, un hydravion et un avion – véritable éloge des sciences modernes! Ou encore des sièges Les Astres de Xavier Longobardi (1923-).
Le thème des loisirs (fauteuils Les Beaux dimanches de Paul Vera et René Prou; paravent Natation, Chasse à courre, Pêche, Canotage de Charles Martin) et des sports (canapé Les Sports de Maurice Taquoy et Louis Süe) fait son apparition. Ainsi que la mode, tant dans la représentation des figures féminines, que dans la conception de sacs à main.
Pour les artistes plus traditionnels, les thèmes classiques sont revisités. Les saisons (tapis de Jules Chéret), la nature (écran Les Roses d’Odilon Redon; canapé Les Oiseaux d’or de René Piot), la musique (fauteuil de Jean Cavaillès), la littérature (tapisserie murale Les Contes de fées, Le Petit Poucet de Jean Veber).
La modernité de la tapisserie d’ameublement se traduit également par l’apparition d’un concept révolutionnaire: l’unique. Alors qu’au XVIIIe siècle, le succès d’un modèle définissait le nombre de retissages, à partir des années 1910, chaque objet mobilier est unique, devient oeuvre d’art.
Dès lors, la création se compose non seulement d’un nouveau modèle de tapisserie mais également d’un unique spécimen de bois. Toujours précieux comme les pallissandre, sycomore, ébène, acajou, loupe d’amboine, bois doré, bois laqué. « Généralement, l’auteur du modèle de tapisserie propose un nom pour le dessin du bois, qui devient partie intégrante de la création en concordance parfaite avec la tapisserie », relève la seconde commissaire de l’exposition, Marie-Hélène Massé-Bersani (directrice du département de la production et responsable du fonds textile moderne et contemporain au Mobilier national). S’associent par exemple Emile Gaudissart (1872-1956) et André Fréchet (1875-1973) ou Maurice Dufrêne (1876-1955); Jean Cavaillès (1901-1977) et André Arbus (1903-1969); Xavier Longobardi et Marc Du Plantier (1901-1975); Raoul Dufy (1924-1933) et André Groult (1884-1967).
Les créateurs s’inspirent de l’atmosphère de la pièce, de son architecture et tendent tous vers un goût du luxe épuré.
C’est grâce à l’initiative de Gustave Geffroy, nouvel administrateur de la Manufacture des Gobelins en 1908, que ce nouveau style français peut se développer. Il a l’idée de s’allier avec la Manufacture de Beauvais et de la Savonnerie pour faire converger les talents. Par ailleurs, il insuffle un esprit artistique aux commandes, qui lui vient de sa fréquentation avec les artises contemporains (Toulouse-Lautrec, Monet, Cézanne, etc.). Jean Ajalbert, directeur de la Manufacture de Beauvais entre 1917 et 1934 lui emprunte le pas. On lui doit par exemple l’ensemble pour la salle du Conseil de l’Elysée comprenant 18 fauteuils aux armes des différents ministères. Plus tard, Georges Fontaine, entre 1945 et 1958, insufflera des commandes d’exception. Dont l’ensemble (canapé, chaises, fauteuils) pour Rambouillet et celui pour la salle à manger de Marly.
Après une longue période d’interruption, les manufactures renouent avec la tapisserie de mobilier en 1999, avec une commande associant Aki Kuroda, et en 2004, Martine Aballéa, Paul-Armand Gette et Jean-Michel Othoniel.
Une exposition surprenante de finesse et de modernité. Tant au sujet des formes et des sujets représentés que de la noblesse des matériaux utilisés. De quoi donner envie d’entrer dans la vie politique pour profiter de la spendeur du mobilier ?!!