Jusqu’au 25 avril 2010
Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116, 5€
*La pensée tape-à-l’oeil. Voilà ce contre-quoi s’insurge l’étonnante artiste américaine (Elaine) Sturtevant, qui ne concède rien de sa biographie. On sait juste qu’elle a autour de 80 ans et qu’elle vit à Paris depuis une vingtaine d’années. Délibéremment mystérieuse, cette femme à la forte-tête, expose pour la première fois au musée d’art moderne de la Ville de Paris. Pour l’occasion, elle réalise deux nouvelles oeuvres, rythmant deux temps forts de l’exposition; l’entrée et la sortie. Décryptage.
Le ton est donné. L’exposition, dont l’espace est perçu comme un objet créant une tension entre la lumière, le son et le mouvement, est supposée provoquer – dans les deux sens du terme – la pensée.
« Cette exposition a été conçue pour articuler le pouvoir de l’image sur l’objet ». Car tel est le credo de Sturtevant dès les années 1965. Répliquer les oeuvres de ses contemporains, bien avant qu’ils n’aient une carrière internationale, tels Jasper Johns, Andy Warhol, Frank P. Stella et Joseph Beuys, pour poser la question de la limite de l’originalité.
Société du simulacre, du clone, de l’hyper-réalité, de la surinformation au détriment de la connaissance. « Les supposées avancées d’Internet constituent un leurre, voire une régression aux yeux de Sturtevant », commente Anne Dressen (commissaire de l’exposition). « […] Internet apparaît comme le royaume de l’accélération de la violence et de la pornographie virtuelles et dématérialisées – une transgression illusoire. Que ce soit dans ses vidéos ou dans ses textes, Sturtevant semble vouloir revenir au corps libéré pour un plaisir nietzschéen, incarné physiquement ».
Le numérique laisse croire à tout un chacun qu’il peut copier, devenir artiste, ou se transporter virtuellement sur le lieu de son choix. Pour Sturtevant, la cybernétique (du grec kubernesis: gouverner, contrôler) est un mensonge. L’inverse de ses répliques hand made, qui ne sont pas là pour répéter une oeuvre, en émettant un doute sur sa valeur. Mais, au contraire, pour souligner son pouvoir d’original.
Dès lors, E. Sturtevant s’emporte contre l’art médiatique sans substance, la créativité commerciale, la société du spectacle. Un concept critique qu’elle matérialise dans sa dernière oeuvre The House of Horrors, qui est aussi le titre de la seconde partie de l’exposition. Cette installation finale simule l’horreur d’un train fantôme de fêtes foraines. Entre les scènes de squelettes, de chauve-souris, de passages noirs comblés de bruits pseudo-effrayants, l’artiste fait référence à Frankenstein, Paul McCarthy (remake de sa performance The Painter, 1995) et John Waters (Pink Flamingos, 1972).
Exposition conceptuelle, « The Rattle Dazzle of Thinking » fonctionne sur une dynamique des oeuvres qui se renvoient les unes aux autres, en interne (référence à son travail antérieur) et en externe (référence à celui de ses alter ego). On peut toujours reprocher à une artiste qui aborde la critique de l’artificiel, d’y recourir elle-même en se contentant d’imiter le travail d’autrui. Mais c’est oublier les textes de Surtevant qui révèlent la profondeur de sa pensée, en s’appuyant sur une réflexion philosophique (Spinoza, Foucault).
« La copie, bien entendu, possède l’absolue
beauté de paraître identique à
l’original.
Mais elle cache aussi de dangereuses lacunes.
La technique rigide requise pour fabriquer dans ses moindres détails une copie exacte la prive de sa
force; l’oeuvre d’art devient statique,
meurt.
Il n’y a ni opposition ni confrontation;
elle est incapable d’imposer
et
de créer une action. » (Extrait de Vice inhérent: la réplique et ses conséquences dans la sculpture moderne, 2007).