Jusqu’au 30 août 2009
Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson 75116, 6€
Une succession de chiffres mystérieux, égrénés sur les ondes courtes de nos radios. Non, vous n’êtes pas dans un roman de science-fiction mais au Palais de Tokyo! Personne ne semble connaître la signification de ces chiffres, qui les utilise et à quel dessein. Avec Spy Numbers, le site de la création contemporaine française et internationale poursuit son exploration du spectre électromagnétique.
Instructions d’agents codées, messages entre trafficants, réglages téléphoniques? Les Spy Numbers Stations émettent depuis la Seconde Guerre mondiale sans que leur fonction exacte soit connue. Matt O’Dell (né en 1976, vit à Londres) réalise une sculpture de bois en forme de tour, avec des hauts parleurs qui diffusent des enregistrements de signaux radio, émis sur les ondes courtes. La séquence sonore alterne huit minutes de bruit et cinq minutes de silence pour ne pas saturer l’atmosphère.
Sa Numbers Station, située au coeur de l’exposition (dont la surface est réduite pour cause de travaux en vue du futur site de création d’art contemporain, annoncé pour 2012 ), renvoie à l’oeuvre de Pascal Broccolichi, Sonotubes. Trois longs tubes diffusent le son enregistré des bruits inhérents aux bâtiments (câbles électriques, eau circulant dans les radiateurs, etc.). Un ressort à l’intérieur des modules permet d’amplifier ces sons, pas toujours audibles à l’oreille humaine.
Les lentilles de contact jetables présentées par Norma Jeane (artiste italienne qui prétend être née la nuit de la mort de Marilyn Monroe – de son vrai nom Norma Jeane Baker) font face aux trois morceaux de pierre rapportés par Luca Francesconi (né en 1979, vit à Milan et Paris).
Les premières ont été portées pendant 365 jours par Davide Legittimo et forment un amalgame mystérieux, conservé dans une solution visqueuse. Si l’installation est minimale dans sa forme, elle évoque la multitude d’images perçues par la vision. Images que l’on ne peut qu’imaginer et c’est là l’ironie de l’installation: les lentilles supposées apporter une meilleure vision procurent l’effet inverse au visiteur qui ne peut rien apercevoir à travers elles. Comme leur nom l’indique (Everyday Sight / Tribute to Aldous Huxley), elles sont un hommage à l’écrivain A. Huxley (Le Meilleur des Mondes), qui a continué à lire et à écrire en dépit de sa quasi-cécité.
La soustraction de pierres de calcaire, granit et ardoise, par L. Francesconi, qui les aurait prélevées au sommet des Alpes italiennes, aurait pour effet d’en abaisser le relief montagneux. Canular ou vérité scientifique? L’oeuvre se double d’un autre contraste en se référant aux sommets – image mentale, fantomatique – et à la montagne en générale (le tout) à travers la présence tangible des pierres (la partie, d’où métonymie). L’artiste affirme que l’homme ne voit que les apparences de la réalité. « La lumière, l’obscurité, hier, aujourd’hui, sont des jeux de symétrie et de coins d’ombres tracés par notre terre et le soleil. Je pense que l’univers n’a pas de nuit ni de jour », explique-t-il.
Une confrontation nature/science que l’on retrouve avec La Terrella de Dove Allouche (né en 1972, vit à Paris) et Evariste Richer (né en 1969, vit à Paris). Les artistes reconstruisent avec des matériaux modernes la Terella (chambre sous vide) du scientifique norvégien, Kristian Birkeland, à l’origine de la découverte des aurores boréales, au début du XXe siècle. Pour l’exposition, la nouvelle machine retransmet le phénomène des aurores boréales selon les jours où elles eurent lieu en 1917, date de leur découverte. Mais étant répliquées dans une chambre sous vide et non dans l’atmosphère, les aurores apparaissent sur les pôles d’une boule terrestre de couleur blanche.
Jeu avec l’imaginaire encore avec les photographies de Ken Gonzales-Day (né en 1964, vit à Los Angeles) et de Arthur Mole & John Thomas.
The Wonder Gaze (St. James Park) représente une foule rassemblée pour une pendaison sommaire, que l’artiste a effacée pour dénoncer les mécanismes du lynchage. Le corps des victimes, invisible, évoque les souvenirs perdus et le rôle de la mémoire.
Living Photographs reproduit des portraits de grands hommes américains ou d’emblèmes patriotiques (drapeau national, Statue de la Liberté) à l’aide de milliers de personnes rassemblées. Ces photographies ont été prises juste avant la Grande Guerre pour renforcer le sentiment d’appartenance communautaire et incarner l’effort de guerre.
Un jeu d’illusion que l’on retrouve dans les deux dernières oeuvres. Felix Schramm (né en 1970, vit à Düsseldorf), défie les lois de la gravité en donnant l’illusion d’avoir défoncé le mur du Palais de Tokyo pour y insérer son Savage Salvage. Une installation à la limite de l’architecture et de la sculpture qui a été sciemment saccagée par l’artiste avant d’être placée en équilibre dans l’arrondi supérieur du mur du Palais de Tokyo.
Heap de Jim Shaw (né en 1952 à Los Angeles) surprend autant le visiteur. De loin, la sculpture ressemble à un topiaire en forme de Casimir. Elle est composée en réalité d’une accumulation de jouets en plastique McDonald’s. Afin de dénoncer les illusions de la société de consommation: images séduisantes de la publicité, packaging attrayants, mais produits viscéralement mauvais!
Si je n’avais pas été convaincue par la précédente exposition (Gakona), grâce à Spy Numbers, je renoue avec l’engouement que génère habituellement le Palais de Tokyo. Un site de création qui aime s’aventurer aux marges de l’esthéticisme et de la véracité scientifique.