Photographie de la Nouvelle Russie 1990-2010
Jusqu’au 29 août 2010
Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy 75004
Dans le cadre de l’Année France-Russie, la MEP présente une sélection de photographies russes. Non pas les produits formatés, bien connus, à la gloire du Petit Père des Peuples, et à travers lui, du réalisme socialiste. Mais les oeuvres d’une ère libérée, insufflées par la Perestroïka mise en place par Gorbatchev à la fin des années 1980. Reflets d’une Nouvelle Russie.
L’avant-garde russe, qui trouve son inspiration dans les travaux d’Alexander Rodtchenko, d’El Lissitzky, de Gustav Kloutsis et du mouvement de la Nouvelle Vision (plongées, contre-plongées, plans rapprochés, obliques, fragmentations), peut enfin sortir de l’ombre au début des années 1990.
Après l’oppression, la culture underground se dévoile. L’individu l’emporte peu à peu sur le collectif ; les artistes s’emparent de l’image pour témoigner d’une réalité loin de la lourdeur idéologique communiste. La Street photography rend compte de cette nouvelle énergie urbaine. Igor Moukhine confronte les vestiges du communisme avec l’émergence d’un capitalisme libéral agressif. Il montre les nouveaux visages des Russes, pris en tenaille entre deux mondes antagonistes.
De son côté, Serguei Tchilikov s’intéresse sur le mode documentaire – privilégié car considéré comme le reflet de la réalité, tant occultée durant les années du communisme dur – aux coutumes des régions russes à l’heure où le pays de modernise.
« Mais si la forme documentaire est très puissante dans la photographie russe contemporaine, elle n’exclut pas ce que l’on a pu appeler la ‘photographie plasticienne’, une photographie qui revendique son appartenance à l’histoire de l’art et refuse les cloisonnements académiques », précise Olga Sviblova, commissaire de l’exposition.
Ainsi du groupe AES+F. Il renvoie dans les choux l’innocence présumée de l’enfance au regard de la brutalité des jeux vidéo que les jeunes affectionnent, des guerres de cour auxquelles ils se livrent. Pour le quatuor moscovite, formé de Tatiana Arzamasova, Lev Evzovitch, Evgency Svyatsky (issus du monde de l’architecture) et du photographe Vladimir Fridkes, cette jeunesse n’est autre qu’une métaphore de la société. Leurs photographies et vidéos, d’esthétique lisse et glacée, telles les publicités des magazines de consommation, donnent des sueurs froides. Dans Last Riot 2 (2006-2007), deux ados, torse nu, portant treillis et godillots s’apprêtent, avec l’aide d’un garçon manqué (cf. sa musculature et sa tenue: marcel blanc et short rouge – codes vestimentaires récurrents dans leur travail), à sabrer la tête d’une jeune japonaise. Dans Action Half Life, des fillettes en petite tenue blanche – fausse connotation de candeur – tiennent dans leur bras des armes militaires, disproportionnées par rapport à leur corpulence. Les scènes se déroulent dans des paysages virtuels tandis que les acteurs prennent la pose des sculptures antiques.
Le corps, honni par le stanislisme pour ses connotations sexuelles, revient ici en force, sous une forme glamour, empruntée à la photographie de mode. Des références que l’on retrouve dans 1:0 (1999) de Vlad Loktev.
Une exposition qui montre la diversité des nouveaux visages de la Russie, des deux côtés de la caméra. Ce pays qui paraît si lointain et qui présente pourtant déjà les tares de la société occidentale (cf. la série de photos de Martin Parr, exposé dernièrement au Jeu de Paume). Il est toujours intéressant de percevoir un regard extérieur porté sur le libéralisme alors que nous sommes tant englués dans notre mode de vie. Mais, après les critiques, reste le plus dur: trouver des solutions adéquates, adaptées aux moeurs locales…