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Quand la poésie se fait peinture et vice-versa

Les Orientales

Jusqu’au 04 juillet 2010

Maison Victor Hugo, 6, place des Vosges 75004, 7€

« L’Orient est devenu pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale », écrit Victor Hugo dans la préface de son second recueil, Les Orientales (1829). Ses poèmes révèlent l’image d’un Orient à la fois fantasmé – l’écrivain n’y a jamais mis les pieds – et réel grâce aux souvenirs rapportés par les explorateurs et peintres qui s’y sont effectivement rendus. Riches en couleur, les vers de Victor Hugo évoquent une iconographie qui trouve son pendant dans les toiles de Delacroix, Géricault, Girodet ou Scheffer. Une intime correspondance entre les arts que met en avant avec brio la nouvelle exposition de la Maison Victor Hugo.

Victor Hugo imagine un Orient à travers l’expédition en Egypte de Bonaparte (1798-1801), lui conférant une aura qui va à l’encontre de la réalité puisque le jeune Bonaparte (30 ans) subit une défaite militaire. Mais les tableaux qui résultent de la campagne enflamment les esprits artistiques et donnent naissance à une peinture dite orientaliste.

Le poète emprunte également aux souvenirs de Chateaubriand lors de son voyage en Orient et en Espagne (1806-1807). Il évoque la mort de George Gordon Byron à Missolonghi (1824) et rend compte de la guerre d’indépendance des Grecs contre les Turcs (1821-1829). Dans un bouquet final, son Orient fait avoisiner les terres bibliques des pyramides égyptiennes et des sérails stambouliotes tandis que les rois maures côtoient les héros indépendantistes grecques.

« Ecoute: Je dormais dans le fond de ma tombe,
Quand un cri m’éveilla: ‘Missolonghi succombe!’
Je me lève à demi dans la nuit du trépas;
J’entends des canons sourds les tonnantes volées,
Les clameurs aux clameurs mêlées,
Les chocs fréquents du fer, le bruit pressé des pas » (Les têtes du Sérail, III).

Les scènes de courses et de batailles se doublent du carnage des bêtes sauvages que l’on associe à l’Orient: rugissement du lion, feulement du tigre, morsure, odeur de sang. La vivacité de la plume d’Hugo se retrouve dans le trait de pinceau de Géricault, Delacroix, Horace Vernet ou encore Louis Boulanger – tous fréquents visiteurs de la ménagerie du Jardin des Plantes.

L’Orient, pour Hugo, c’est aussi la voluptuosité des chairs, les baigneuses alanguies, les sultanes captives et soumises au plaisir.

« Oh! si j’étais capitane,
Ou sultane,
Je prendrais des bains ambrés,
Dans un bain de marbre jaune,
Près d’un trône,
Entre deux griffons dorés!

J’aurais le hamac de soir
Qui se ploie
Sous le corps prêt à pâmer;
J’aurais la molle ottomane
Dont émane
Un parfum qui fait aimer » (Sara la baigneuse, XIX).

Le rideau des Orientales tombe au lever du brouillard matinal parisien qui met fin au rêve hugolien, né – selon la légende instaurée par le poète lui-même – au seuil du jour et de la nuit. « Ce serait au cours d’une promenade vespérale de l’été 1828, dans les faubourgs de Paris, entre Vanves et Montrouge, que Victor Hugo et Louis Boulanger auraient eu, l’un la révélation de son poème, l’autre celle de son tableau Mazeppa, lancé comme ‘le cheval de bataille’ du romantisme », précise Jérôme Godeau, co-commissaire de l’exposition.

« Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d’orient, s’éclipse, et t’abandonne,
Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits.

Alors s’en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L’arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal (Novembre, XLI).

Une magnifique exposition qui présente 140 oeuvres issues de grandes institutions françaises et étrangères (Louvre, Orsay, BnF, British Museum, National Gallery d’Athènes, etc.) et de collections privées. Entre les vers d’Hugo, de qui Mallarmé dira qu’il « était le vers personnellement » et les bleus intenses, rouges carmins, jaunes poussins, verts sapins des peintures de Delacroix, Cabanel, Bonnington, Portaels, Chassériau, vous ressortirez envoûtés. Littéralement, sous le charme de la grâce sauvage des Orientales.

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