Jusqu’au 21 février 2010
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-MONUMENTA-2010-CHRISTIAN-BOLTANSKI-MONUM.htm]
Nef du Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008, 4€
Une « oeuvre à quatre mains ». Ainsi Christian Boltanski, troisième invité de Monumenta (Grand Palais) après Richard Serra et Anselm Kiefer, définit-il sa nouvelle performance. Contraint par le lieu qui s’impose comme une architecture musicale, l’artiste français conçoit une installation qui se rapproche de l’art du spectacle. Avec comme thématique principale, omniprésente dans son cheminement artistique depuis les années d’après-guerre: la main de Dieu qui enlève la vie des hommes. Au hasard.
Depuis 1968, Christian Boltanski (né à Paris en 1944, date de la libération de Paris qui conditionne sa carrière artistique) cherche à combattre l’oubli, la finitude de l’homme, par un travail sur la mémoire. Les archives sont le moyen par lequel il tente d’atteindre cette finalité. Une vanité contemporaine, dont a parfaitement conscience l’artiste.
Elle s’illustre particulièrement dans son dernier opus, Personnes. Symbolisés par des vêtements – motif/matériau récurrent de son travail depuis 1988 qui permet d’incarner à la fois la multiplicité et l’unicité -, les individus sont d’autant plus présents dans l’oeuvre qu’ils brillent par leur absence physique.
Dès les premiers pas, l’exposition prend de court. Un mur de boîtes, numérotées dans le désordre, impose au spectateur de s’arrêter. Pour se mettre en condition, se vider la tête. Mais aussi, commencer à réfléchir, comme le suggèrent les lampes de bureaux, fixées en haut du mur. Se concentrer sur le son perçu dans le sas d’entrée. Tel un visiteur qui entre dans une église et s’arrête devant la nef pour absorber la vision d’ensemble, avant de s’engager dans les allées. Un moment d’arrêt nécessaire pour pouvoir encaisser la suite.
Contournement du mur. Effroi, incompréhension, frisson. Pas seulement en raison de l’absence de chauffage, voulue par l’artiste, comme dans les églises romanes. Le stade de la contemplation est très vite dépassé: au sol, des tas de vêtements disposés par rangées. Devant soi, une gigantesque pile d’habits, qui seront recyclés à la fin de l’exposition, est animée par une grue. Qui telle la main de Dieu, sélectionne un vêtement pour le rejeter sur la pile.
C’est tout. Ou presque. Car il y a ce son omniprésent, perturbant. A quoi tout cela rime-t-il?
Le son. Indéniablement, il évoque des palpitations. Surtout, osez toucher les poteaux qui délimitent les rangées de vêtements. Vous ressentirez le battement des coeurs qui sont diffusés au-dessus de chaque carré. Son qui s’envole et convole jusque sous la voûte de la nef pour se réverbérer naturellement dans l’ensemble de l’espace.
Cela fait cinq ans que Christian Boltanski a débuté ses Archives du coeur à travers le monde. Un mécène lui a offert une sonothèque sur l’île de Teshima, dans la Mer Intérieure du Japon, pour les conserver et les exposer. Afin que chacun puisse, un jour, aller écouter la palpitation du coeur de ses ancêtres.
Ici, les visiteurs sont invités à aller enregistrer les palpitations de leur coeur (le CD gravé coûte 5€). Petite astuce: dès que vous entrez au Grand Palais, allez prendre un ticket – la file d’attente risque d’être longue mais l’expérience en vaut la chandelle – et retournez voir l’exposition. Vous pourrez voir le numéro de votre ticket depuis la nef.
Christian Boltanski souhaite s’adresser à un public amateur d’art contemporain. Il juge son oeuvre classique. Car, selon lui, l’art n’a pas fait de progrès et porte toujours sur les mêmes questions: la mise en scène du destin humain. Ou, selon les termes de Catherine Grenier, commissaire de l’exposition (conservatrice au Centre Pompidou), » N’est-ce pas le Jugement dernier, ce thème classique de l’histoire de l’art qui a donné lieu aux spéculations imagées les plus fortes, qui se trouve ici revisité? […] Boltanski inscrit sa création dans la lignée des grands poètes de l’interrogation du mal ».
De fait, l’artiste espère que le visiteur se sentira oppressé par son oeuvre, qu’il aura envie de s’enfuir pour retrouver la vie à l’extérieur. Personnes est une scénographie musicale qui place le visiteur dans un monde fantasmagorique, où le sentiment artistique supplante sa contemplation. L’oeuvre imprègne le visiteur par son ancrage historique et contemporain. Sans l’avoir spécifiquement vécue, chacun retrouve une partie de l’Histoire qui a inéluctablement façonné sa propre histoire.
Au-delà de cet intérêt pour la mémoire individuelle et collective, l’oeuvre m’a envoûtée pour trois raisons. L’artiste a su évoquer la Shoah, en la suggérant mais de manière si déchirante. Le métissage des motifs religieux apparaît comme une invitation généreuse à cohabiter de manière fraternelle, à créer une communauté spirituelle cosmopolite. Last but not least, l’installation fait vibrer l’intérieur de chacun par la palpitation des coeurs d’autrui. Qui n’en serait pas troublé?
A noter: Pour compléter l’exposition, Arte a édité un DVD, Les Vies Possibles de Christian Boltanski, film de Heinz Peter Schwerfel. En dépit de la mise en forme que je n’ai pas particulièrement appréciée (nom des oeuvres non mentionné, voix off lointaine, bande-son irritante), le film offre un bon aperçu de l’ensemble de l’oeuvre de Christian Boltanski. L’ayant visionné juste avant l’exposition, il m’a permis de m’immerger directement dans Personnes et de mieux en saisir la profondeur. Sans oublier les explications de Julie, la justesse des médiateurs étant nécessaire dans l’approche d’un tel art.